Accueil > Littérature > Anthologie > H > HUGO Victor (1802-1885) > Souvenir de la nuit du 4
- L’enfant avait reçu deux balles dans la tête.
- Le logis était propre, humble, paisible, honnête ;
- On voyait un rameau bénit sur un portrait.
- Une vieille grand-mère était là qui pleurait.
- Nous le déshabillions en silence. Sa bouche,
- Pâle, s’ouvrait ; la mort noyait son oeil farouche ;
- Ses bras pendants semblaient demander des appuis.
- Il avait dans sa poche une toupie en buis.
- On pouvait mettre un doigt dans les trous de ses plaies.
- Avez-vous vu saigner la mûre dans les haies ?
- Son crâne était ouvert comme un bois qui se fend.
- L’aïeule regarda déshabiller l’enfant,
- Disant : - comme il est blanc ! approchez donc la lampe.
- Dieu ! ses pauvres cheveux sont collés sur sa tempe ! -
- Et quand ce fut fini, le prit sur ses genoux.
- La nuit était lugubre ; on entendait des coups
- De fusil dans la rue où l’on en tuait d’autres.
- - Il faut ensevelir l’enfant, dirent les nôtres.
- Et l’on prit un drap blanc dans l’armoire en noyer.
- L’aïeule cependant l’approchait du foyer
- Comme pour réchauffer ses membres déjà roides.
- Hélas ! ce que la mort touche de ses mains froides
- Ne se réchauffe plus aux foyers d’ici-bas !
- Elle pencha la tête et lui tira ses bas,
- Et dans ses vieilles mains prit les pieds du cadavre.
- - Est-ce que ce n’est pas une chose qui navre !
- Cria-t-elle ; monsieur, il n’avait pas huit ans !
- Ses maîtres, il allait en classe, étaient contents.
- Monsieur, quand il fallait que je fisse une lettre,
- C’est lui qui l’écrivait. Est-ce qu’on va se mettre
- A tuer les enfants maintenant ? Ah ! mon Dieu !
- On est donc des brigands ! Je vous demande un peu,
- Il jouait ce matin, là, devant la fenêtre !
- Dire qu’ils m’ont tué ce pauvre petit être !
- Il passait dans la rue, ils ont tiré dessus.
- Monsieur, il était bon et doux comme un Jésus.
- Moi je suis vieille, il est tout simple que je parte ;
- Cela n’aurait rien fait à monsieur Bonaparte
- De me tuer au lieu de tuer mon enfant ! -
- Elle s’interrompit, les sanglots l’étouffant,
- Puis elle dit, et tous pleuraient près de l’aïeule :
- - Que vais-je devenir à présent toute seule ?
- Expliquez-moi cela, vous autres, aujourd’hui.
- Hélas ! je n’avais plus de sa mère que lui.
- Pourquoi l’a-t-on tué ? Je veux qu’on me l’explique.
- L’enfant n’a pas crié vive la République. -
- Nous nous taisions, debout et graves, chapeau bas,
- Tremblant devant ce deuil qu’on ne console pas.
- Vous ne compreniez point, mère, la politique.
- Monsieur Napoléon, c’est son nom authentique,
- Est pauvre, et même prince ; il aime les palais ;
- Il lui convient d’avoir des chevaux, des valets,
- De l’argent pour son jeu, sa table, son alcôve,
- Ses chasses ; par la même occasion, il sauve
- La famille, l’église et la société ;
- Il veut avoir Saint-Cloud, plein de roses l’été,
- Où viendront l’adorer les préfets et les maires ;
- C’est pour cela qu’il faut que les vieilles grand-mères,
- De leurs pauvres doigts gris que fait trembler le temps,
- Cousent dans le linceul des enfants de sept ans.
VICTOR HUGO (1802-1885)