Accueil > Littérature > Anthologie > H > HUGO Victor (1802-1885) > Pauca meae
- Elle avait pris ce pli dans son âge enfantin
- De venir dans ma chambre un peu chaque matin ;
- Je l’attendais ainsi qu’un rayon qu’on espère ;
- Elle entrait, et disait : Bonjour, mon petit père ;
- Prenait ma plume, ouvrait mes livres, s’asseyait
- Sur mon lit, dérangeait mes papiers, et riait,
- Puis soudain s’en allait comme un oiseau qui passe.
- Alors, je reprenais, la tête un peu moins lasse,
- Mon oeuvre interrompue, et, tout en écrivant,
- Parmi mes manuscrits je rencontrais souvent
- Quelque arabesque folle et qu’elle avait tracée,
- Et mainte page blanche entre ses mains froissée
- Où, je ne sais comment, venaient mes plus doux vers.
- Elle aimait Dieu, les fleurs, les astres, les prés verts,
- Et c’était un esprit avant d’être une femme.
- Son regard reflétait la clarté de son âme.
- Elle me consultait sur tout à tous moments.
- Oh ! que de soirs d’hiver radieux et charmants
- Passés à raisonner langue, histoire et grammaire,
- Mes quatre enfants groupés sur mes genoux, leur mère
- Tout près, quelques amis causant au coin du feu !
- J’appelais cette vie être content de peu !
- Et dire qu’elle est morte ! Hélas ! que Dieu m’assiste !
- Je n’étais jamais gai quand je la sentais triste ;
- J’étais morne au milieu du bal le plus joyeux
- Si j’avais, en partant, vu quelque ombre en ses yeux.
VICTOR HUGO (1802-1885)