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- Oh ! combien de marins, combien de capitaines
- Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines,
- Dans ce morne horizon se sont évanouis !
- Combien ont disparu, dure et triste fortune !
- Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune,
- Sous l’aveugle océan à jamais enfouis !
- Combien de patrons morts avec leurs équipages !
- L’ouragan de leur vie a pris toutes les pages
- Et d’un souffle il a tout dispersé sur les flots !
- Nul ne saura leur fin dans l’abîme plongée.
- Chaque vague en passant d’un butin s’est chargée ;
- L’une a saisi l’esquif, l’autre les matelots !
- Nul ne sait votre sort, pauvres têtes perdues !
- Vous roulez à travers les sombres étendues,
- Heurtant de vos fronts morts des écueils inconnus.
- Oh ! que de vieux parents, qui n’avaient plus qu’un rêve,
- Sont morts en attendant tous les jours sur la grève
- Ceux qui ne sont pas revenus !
- On s’entretient de vous parfois dans les veillées.
- Maint joyeux cercle, assis sur des ancres rouillées,
- Mêle encor quelque temps vos noms d’ombre couverts
- Aux rires, aux refrains, aux récits d’aventures,
- Aux baisers qu’on dérobe à vos belles futures,
- Tandis que vous dormez dans les goémons verts !
- On demande : - Où sont-ils ? sont-ils rois dans quelque île ?
- Nous ont-ils délaissés pour un bord plus fertile ? -
- Puis votre souvenir même est enseveli.
- Le corps se perd dans l’eau, le nom dans la mémoire.
- Le temps, qui sur toute ombre en verse une plus noire,
- Sur le sombre océan jette le sombre oubli.
- Bientôt des yeux de tous votre ombre est disparue.
- L’un n’a-t-il pas sa barque et l’autre sa charrue ?
- Seules, durant ces nuits où l’orage est vainqueur,
- Vos veuves aux fronts blancs, lasses de vous attendre,
- Parlent encor de vous en remuant la cendre
- De leur foyer et de leur coeur !
- Et quand la tombe enfin a fermé leur paupière,
- Rien ne sait plus vos noms, pas même une humble pierre
- Dans l’étroit cimetière où l’écho nous répond,
- Pas même un saule vert qui s’effeuille à l’automne,
- Pas même la chanson naïve et monotone
- Que chante un mendiant à l’angle d’un vieux pont !
- Où sont-ils, les marins sombrés dans les nuits noires ?
- O flots, que vous savez de lugubres histoires !
- Flots profonds redoutés des mères à genoux !
- Vous vous les racontez en montant les marées,
- Et c’est ce qui vous fait ces voix désespérées
- Que vous avez le soir quand vous venez vers nous !
VICTOR HUGO (1802-1885)