Accueil > Littérature > Anthologie > H > HUGO Victor (1802-1885) > Ô souvenirs ! printemps ! aurore !
- Ô souvenirs ! printemps ! aurore !
- Doux rayon triste et réchauffant !
- - Lorsqu’elle était petite encore,
- Que sa soeur était tout enfant... -
- Connaissez-vous, sur la colline
- Qui joint Montlignon à Saint-Leu,
- Une terrasse qui s’incline
- Entre un bois sombre et le ciel bleu ?
- C’est là que nous vivions, - Pénètre,
- Mon coeur, dans ce passé charmant !
- Je l’entendais sous ma fenêtre
- Jouer le matin doucement.
- Elle courait dans la rosée,
- Sans bruit, de peur de m’éveiller ;
- Moi, je n’ouvrais pas ma croisée,
- De peur de la faire envoler.
- Ses frères riaient... - Aube pure !
- Tout chantait sous ces frais berceaux,
- Ma famille avec la nature,
- Mes enfants avec les oiseaux ! -
- Je toussais, on devenait brave.
- Elle montait à petits pas,
- Et me disait d’un air très grave :
- " J’ai laissé les enfants en bas. "
- Qu’elle fût bien ou mal coiffée,
- Que mon coeur fût triste ou joyeux,
- Je l’admirais. C’était ma fée,
- Et le doux astre de mes yeux !
- Nous jouions toute la journée.
- Ô jeux charmants ! chers entretiens !
- Le soir, comme elle était l’aînée,
- Elle me disait : " Père, viens !
- Nous allons t’apporter ta chaise,
- Conte-nous une histoire, dis ! " -
- Et je voyais rayonner d’aise
- Tous ces regards du paradis.
- Alors, prodiguant les carnages,
- J’inventais un conte profond
- Dont je trouvais les personnages
- Parmi les ombres du plafond.
- Toujours, ces quatre douces têtes
- Riaient, comme à cet âge on rit,
- De voir d’affreux géants très-bêtes
- Vaincus par des nains pleins d’esprit.
- J’étais l’Arioste et l’Homère
- D’un poème éclos d’un seul jet ;
- Pendant que je parlais, leur mère
- Les regardait rire, et songeait.
- Leur aïeul, qui lisait dans l’ombre,
- Sur eux parfois levait les yeux,
- Et moi, par la fenêtre sombre
- J’entrevoyais un coin des cieux !