Accueil > Littérature > Anthologie > H > HUGO Victor (1802-1885) > Aux Feuillantines
- Mes deux frères et moi, nous étions tout enfants.
- Notre mère disait : jouez, mais je défends
- Qu’on marche dans les fleurs et qu’on monte aux échelles.
- Abel était l’aîné, j’étais le plus petit.
- Nous mangions notre pain de si bon appétit,
- Que les femmes riaient quand nous passions près d’elles.
- Nous montions pour jouer au grenier du couvent.
- Et là, tout en jouant, nous regardions souvent
- Sur le haut d’une armoire un livre inaccessible.
- Nous grimpâmes un jour jusqu’à ce livre noir ;
- Je ne sais pas comment nous fimes pour l’avoir,
- Mais je me souviens bien que c’était une Bible.
- Ce vieux livre sentait une odeur d’encensoir.
- Nous allâmes ravis dans un coin nous asseoir.
- Des estampes partout ! quel bonheur ! quel délire !
- Nous l’ouvrîmes alors tout grand sur nos genoux,
- Et dès le premier mot il nous parut si doux
- Qu’oubliant de jouer, nous nous mîmes à lire.
- Nous lûmes tous les trois ainsi, tout le matin,
- Joseph, Ruth et Booz, le bon Samaritain,
- Et, toujours plus charmés, le soir nous le relûmes.
- Tels des enfants, s’ils ont pris un oiseau des cieux,
- S’appellent en riant et s’étonnent, joyeux,
- De sentir dans leur main la douceur de ses plumes.