Accueil > Littérature > Anthologie > H > HUGO Victor (1802-1885) > Après la bataille
- Mon père, ce héros au sourire si doux,
- Suivi d’un seul housard qu’il aimait entre tous
- Pour sa grande bravoure et pour sa haute taille,
- Parcourait à cheval, le soir d’une bataille,
- Le champ couvert de morts sur qui tombait la nuit.
- Il lui sembla dans l’ombre entendre un faible bruit.
- C’était un Espagnol de l’armée en déroute
- Qui se traînait sanglant sur le bord de la route,
- Râlant, brisé, livide, et mort plus qu’à moitié.
- Et qui disait : " A boire ! à boire par pitié ! "
- Mon père, ému, tendit à son housard fidèle
- Une gourde de rhum qui pendait à sa selle,
- Et dit : "Tiens, donne à boire à ce pauvre blessé. "
- Tout à coup, au moment où le housard baissé
- Se penchait vers lui, l’homme, une espèce de maure,
- Saisit un pistolet qu’il étreignait encore,
- Et vise au front mon père en criant : "Caramba ! "
- Le coup passa si près que le chapeau tomba
- Et que le cheval fit un écart en arrière.
- " Donne-lui tout de même à boire ", dit mon père.