Accueil > Littérature > Anthologie > L > LA FONTAINE Jean de (1621-1695) > Le Loup et le Chien
- Un Loup n’avait que les os et la peau,
- Tant les chiens faisaient bonne garde.
- Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,
- Gras, poli, qui s’était fourvoyé par mégarde.
- L’attaquer, le mettre en quartiers,
- Sire Loup l’eût fait volontiers ;
- Mais il fallait livrer bataille,
- Et le Mâtin était de taille
- A se défendre hardiment.
- Le Loup donc l’aborde humblement,
- Entre en propos, et lui fait compliment
- Sur son embonpoint, qu’il admire.
- "Il ne tiendra qu’à vous beau sire,
- D’être aussi gras que moi, lui repartit le Chien.
- Quittez les bois, vous ferez bien :
- Vos pareils y sont misérables,
- Cancres, hères, et pauvres diables,
- Dont la condition est de mourir de faim.
- Car quoi ? rien d’assuré : point de franche lippée :
- Tout à la pointe de l’épée.
- Suivez-moi : vous aurez un bien meilleur destin. "
- Le Loup reprit : "Que me faudra-t-il faire ?
- - Presque rien, dit le Chien, donner la chasse aux gens
- Portants bâtons, et mendiants ;
- Flatter ceux du logis, à son Maître complaire :
- Moyennant quoi votre salaire
- Sera force reliefs de toutes les façons :
- Os de poulets, os de pigeons,
- Sans parler de mainte caresse. "
- Le Loup déjà se forge une félicité
- Qui le fait pleurer de tendresse.
- Chemin faisant, il vit le col du Chien pelé.
- "Qu’est-ce là ? lui dit-il. - Rien. - Quoi ? rien ? - Peu de chose.
- - Mais encor ? - Le collier dont je suis attaché
- De ce que vous voyez est peut-être la cause.
- - Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas
- Où vous voulez ? - Pas toujours ; mais qu’importe ?
- - Il importe si bien, que de tous vos repas
- Je ne veux en aucune sorte,
- Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. "
- Cela dit, maître Loup s’enfuit, et court encor.
- Jean de La FONTAINE (1621-1695)
- Fables, I, 5