- La raison du plus fort est toujours la meilleure :
- Nous l’allons montrer tout à l’heure.
- Un Agneau se désaltérait
- Dans le courant d’une onde pure.
- Un Loup survient à jeun qui cherchait aventure,
- Et que la faim en ces lieux attirait.
- Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
- Dit cet animal plein de rage :
- Tu seras châtié de ta témérité.
- - Sire, répond l’Agneau, que votre Majesté
- Ne se mette pas en colère ;
- Mais plutôt qu’elle considère
- Que je me vas désaltérant
- Dans le courant,
- Plus de vingt pas au-dessous d’Elle,
- Et que par conséquent, en aucune façon,
- Je ne puis troubler sa boisson.
- - Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
- Et je sais que de moi tu médis l’an passé.
- - Comment l’aurais-je fait si je n’étais pas né ?
- Reprit l’Agneau, je tette encor ma mère.
- - Si ce n’est toi, c’est donc ton frère.
- - Je n’en ai point. - C’est donc quelqu’un des tiens :
- Car vous ne m’épargnez guère,
- Vous, vos bergers, et vos chiens.
- On me l’a dit : il faut que je me venge.
- Là-dessus, au fond des forêts
- Le Loup l’emporte, et puis le mange,
- Sans autre forme de procès.
Jean de LA FONTAINE (1621-1695) Fables, I, 10