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Le Lion et le Moucheron

vendredi 23 décembre 2011, par Silvestre Baudrillart

  • "Va-t’en, chétif insecte, excrément de la terre ! "
  • C’est en ces mots que le Lion
  • Parlait un jour au Moucheron.
  • L’autre lui déclara la guerre.
  • "Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de Roi
  • Me fasse peur ni me soucie ?
  • Un boeuf est plus puissant que toi :
  • Je le mène à ma fantaisie. "
  • A peine il achevait ces mots
  • Que lui-même il sonna la charge,
  • Fut le Trompette et le Héros.
  • Dans l’abord il se met au large ;
  • Puis prend son temps, fond sur le cou
  • Du Lion, qu’il rend presque fou.
  • Le quadrupède écume, et son oeil étincelle ;
  • Il rugit ; on se cache, on tremble à l’environ ;
  • Et cette alarme universelle
  • Est l’ouvrage d’un Moucheron.
  • Un avorton de Mouche en cent lieux le harcelle :
  • Tantôt pique l’échine, et tantôt le museau,
  • Tantôt entre au fond du naseau.
  • La rage alors se trouve à son faîte montée.
  • L’invisible ennemi triomphe, et rit de voir
  • Qu’il n’est griffe ni dent en la bête irritée
  • Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir.
  • Le malheureux Lion se déchire lui-même,
  • Fait résonner sa queue à l’entour de ses flancs,
  • Bat l’air, qui n’en peut mais ; et sa fureur extrême
  • Le fatigue, l’abat : le voilà sur les dents.
  • L’insecte du combat se retire avec gloire :
  • Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,
  • Va partout l’annoncer, et rencontre en chemin
  • L’embuscade d’une araignée ;
  • Il y rencontre aussi sa fin.
  • Quelle chose par là nous peut être enseignée ?
  • J’en vois deux, dont l’une est qu’entre nos ennemis
  • Les plus à craindre sont souvent les plus petits ;
  • L’autre, qu’aux grands périls tel a pu se soustraire,
  • Qui périt pour la moindre affaire.
  • Jean de La FONTAINE (1621-1695)
  • Fables, II, 9

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