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Le Cochet, le Chat, et le Souriceau

vendredi 23 décembre 2011, par Silvestre Baudrillart

  • Un Souriceau tout jeune, et qui n’avait rien vu,
  • Fut presque pris au dépourvu.
  • Voici comme il conta l’aventure à sa mère :
  • J’avais franchi les Monts qui bornent cet Etat,
  • Et trottais comme un jeune Rat
  • Qui cherche à se donner carrière,
  • Lorsque deux animaux m’ont arrêté les yeux :
  • L’un doux, bénin et gracieux,
  • Et l’autre turbulent, et plein d’inquiétude.
  • Il a la voix perçante et rude,
  • Sur la tête un morceau de chair,
  • Une sorte de bras dont il s’élève en l’air
  • Comme pour prendre sa volée,
  • La queue en panache étalée.
  • Or c’était un Cochet dont notre Souriceau
  • Fit à sa mère le tableau,
  • Comme d’un animal venu de l’Amérique.
  • Il se battait, dit-il, les flancs avec ses bras,
  • Faisant tel bruit et tel fracas,
  • Que moi, qui grâce aux Dieux, de courage me pique,
  • En ai pris la fuite de peur,
  • Le maudissant de très bon coeur.
  • Sans lui j’aurais fait connaissance
  • Avec cet animal qui m’a semblé si doux.
  • Il est velouté comme nous,
  • Marqueté, longue queue, une humble contenance ;
  • Un modeste regard, et pourtant l’oeil luisant :
  • Je le crois fort sympathisant
  • Avec Messieurs les Rats ; car il a des oreilles
  • En figure aux nôtres pareilles.
  • Je l’allais aborder, quand d’un son plein d’éclat
  • L’autre m’a fait prendre la fuite.
  • - Mon fils, dit la Souris, ce doucet est un Chat,
  • Qui sous son minois hypocrite
  • Contre toute ta parenté
  • D’un malin vouloir est porté.
  • L’autre animal tout au contraire
  • Bien éloigné de nous mal faire,
  • Servira quelque jour peut-être à nos repas.
  • Quant au Chat, c’est sur nous qu’il fonde sa cuisine.
  • Garde-toi, tant que tu vivras,
  • De juger des gens sur la mine.
  • Jean de La FONTAINE (1621-1695)
  • Fables, VI, 5

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