Accueil > Littérature > Anthologie > L > LA FONTAINE Jean de (1621-1695) > Le Chêne et le Roseau
- Le Chêne un jour dit au Roseau :
- "Vous avez bien sujet d’accuser la Nature ;
- Un Roitelet pour vous est un pesant fardeau.
- Le moindre vent, qui d’aventure
- Fait rider la face de l’eau,
- Vous oblige à baisser la tête :
- Cependant que mon front, au Caucase pareil,
- Non content d’arrêter les rayons du soleil,
- Brave l’effort de la tempête.
- Tout vous est Aquilon, tout me semble Zéphyr.
- Encor si vous naissiez à l’abri du feuillage
- Dont je couvre le voisinage,
- Vous n’auriez pas tant à souffrir :
- Je vous défendrais de l’orage ;
- Mais vous naissez le plus souvent
- Sur les humides bords des Royaumes du vent.
- La nature envers vous me semble bien injuste.
- - Votre compassion, lui répondit l’Arbuste,
- Part d’un bon naturel ; mais quittez ce souci.
- Les vents me sont moins qu’à vous redoutables.
- Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu’ici
- Contre leurs coups épouvantables
- Résisté sans courber le dos ;
- Mais attendons la fin. "Comme il disait ces mots,
- Du bout de l’horizon accourt avec furie
- Le plus terrible des enfants
- Que le Nord eût portés jusque-là dans ses flancs.
- L’Arbre tient bon ; le Roseau plie.
- Le vent redouble ses efforts,
- Et fait si bien qu’il déracine
- Celui de qui la tête au Ciel était voisine
- Et dont les pieds touchaient à l’Empire des Morts.
- Jean de La FONTAINE (1621-1695)
- Fables, I, 22