Accueil > Littérature > Anthologie > L > LA FONTAINE Jean de (1621-1695) > Les Grenouilles qui demandent un roi
- Les Grenouilles, se lassant
- De l’état Démocratique,
- Par leurs clameurs firent tant
- Que Jupin les soumit au pouvoir Monarchique.
- Il leur tomba du Ciel un Roi tout pacifique :
- Ce Roi fit toutefois un tel bruit en tombant
- Que la gent marécageuse,
- Gent fort sotte et fort peureuse,
- S’alla cacher sous les eaux,
- Dans les joncs, dans les roseaux,
- Dans les trous du marécage,
- Sans oser de longtemps regarder au visage
- Celui qu’elles croyaient être un géant nouveau ;
- Or c’était un Soliveau,
- De qui la gravité fit peur à la première
- Qui de le voir s’aventurant
- Osa bien quitter sa tanière.
- Elle approcha, mais en tremblant.
- Une autre la suivit, une autre en fit autant,
- Il en vint une fourmilière ;
- Et leur troupe à la fin se rendit familière
- Jusqu’à sauter sur l’épaule du Roi.
- Le bon Sire le souffre, et se tient toujours coi.
- Jupin en a bientôt la cervelle rompue.
- Donnez-nous, dit ce peuple, un Roi qui se remue.
- Le Monarque des Dieux leur envoie une Grue,
- Qui les croque, qui les tue,
- Qui les gobe à son plaisir,
- Et Grenouilles de se plaindre ;
- Et Jupin de leur dire : Eh quoi ! votre désir
- A ses lois croit-il nous astreindre ?
- Vous avez dû premièrement
- Garder votre Gouvernement ;
- Mais, ne l’ayant pas fait, il vous devait suffire
- Que votre premier roi fût débonnaire et doux :
- De celui-ci contentez-vous,
- De peur d’en rencontrer un pire.
- Jean de La FONTAINE (1621-1695)
- Fables, III, 4