Accueil > Littérature > Anthologie > L > LA FONTAINE Jean de (1621-1695) > Le Loup devenu Berger
- Un Loup, qui commençait d’avoir petite part
- Aux Brebis de son voisinage,
- Crut qu’il fallait s’aider de la peau du Renard
- Et faire un nouveau personnage.
- Il s’habille en Berger, endosse un hoqueton,
- Fait sa houlette d’un bâton,
- Sans oublier la Cornemuse.
- Pour pousser jusqu’au bout la ruse,
- Il aurait volontiers écrit sur son chapeau :
- « C’est moi qui suis Guillot, berger de ce troupeau. »
- Sa personne étant ainsi faite
- Et ses pieds de devant posés sur sa houlette,
- Guillot le sycophante approche doucement.
- Guillot, le vrai Guillot, étendu sur l’herbette,
- Dormait alors profondément.
- Son chien dormait aussi, comme aussi sa musette.
- La plupart des Brebis dormaient pareillement.
- L’hypocrite les laissa faire ;
- Et pour pouvoir mener vers son fort les Brebis
- Il voulut ajouter la parole aux habits,
- Chose qu’il croyait nécessaire.
- Mais cela gâta son affaire :
- Il ne put du pasteur contrefaire la voix.
- Le ton dont il parla fit retentir les bois,
- Et découvrit tout le mystère.
- Chacun se réveille à ce son,
- Les Brebis, le Chien, le Garçon.
- Le pauvre Loup, dans cet esclandre,
- Empêché par son hoqueton,
- Ne put ni fuir ni se défendre.
- Toujours par quelque endroit fourbes se laissent prendre.
- Quiconque est Loup agisse en Loup :
- C’est le plus certain de beaucoup.
- Jean de LA FONTAINE (1621-1685),
- Fables, III, 3