Accueil > Littérature > Anthologie > L > LA FONTAINE Jean de (1621-1695) > La Besace
- Jupiter dit un jour : « Que tout ce qui respire
- S’en vienne comparaître aux pieds de ma grandeur.
- Si dans son composé quelqu’un trouve à redire,
- Il peut le déclarer sans peur :
- Je mettrai remède à la chose.
- Venez, Singe ; parlez le premier, et pour cause.
- Voyez ces animaux, faites comparaison
- De leurs beautés avec les vôtres :
- Êtes-vous satisfait ? — Moi ? dit-il, pourquoi non ?
- N’ai-je pas quatre pieds aussi bien que les autres ?
- Mon portrait jusqu’ici ne m’a rien reproché ;
- Mais pour mon frère l’Ours, on ne l’a qu’ébauché :
- Jamais, s’il me veut croire, il ne se fera peindre. »
- L’Ours venant là-dessus, on crut qu’il s’allait plaindre.
- Tant s’en faut : de sa forme il se loua très fort ;
- Glosa sur l’ Éléphant, dit qu’on pourrait encor
- Ajouter à sa queue, ôter à ses oreilles ;
- Que c’était une masse informe et sans beauté.
- L’Éléphant étant écouté,
- Tout sage qu’il était, dit des choses pareilles :
- Il jugea qu’à son appétit
- Dame Baleine était trop grosse.
- Dame Fourmi trouva le Ciron trop petit,
- Se croyant, pour elle, un colosse.
- Jupin les renvoya s’étant censurés tous,
- Du reste contents d’eux ; mais parmi les plus fous
- Notre espèce excella ; car tout ce que nous sommes,
- Lynx envers nos pareils, et taupes envers nous,
- Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes.
- On se voit d’un autre œil qu’on ne voit son prochain.
- Le Fabricateur souverain
- Nous créa besaciers tous de même manière,
- Tant ceux du temps passé que du temps d’aujourd’hui :
- Il fit pour nos défauts la poche de derrière,
- Et celle de devant pour les défauts d’autrui.
- Jean de LA FONTAINE, Fables, III, 7.