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La Besace

vendredi 26 juillet 2024, par Silvestre Baudrillart

  • Jupiter dit un jour : « Que tout ce qui respire
  • S’en vienne comparaître aux pieds de ma grandeur.
  • Si dans son composé quelqu’un trouve à redire,
  • Il peut le déclarer sans peur :
  • Je mettrai remède à la chose.
  • Venez, Singe ; parlez le premier, et pour cause.
  • Voyez ces animaux, faites comparaison
  • De leurs beautés avec les vôtres :
  • Êtes-vous satisfait ? — Moi ? dit-il, pourquoi non ?
  • N’ai-je pas quatre pieds aussi bien que les autres ?
  • Mon portrait jusqu’ici ne m’a rien reproché ;
  • Mais pour mon frère l’Ours, on ne l’a qu’ébauché :
  • Jamais, s’il me veut croire, il ne se fera peindre. »
  • L’Ours venant là-dessus, on crut qu’il s’allait plaindre.
  • Tant s’en faut : de sa forme il se loua très fort ;
  • Glosa sur l’ Éléphant, dit qu’on pourrait encor
  • Ajouter à sa queue, ôter à ses oreilles ;
  • Que c’était une masse informe et sans beauté.
  • L’Éléphant étant écouté,
  • Tout sage qu’il était, dit des choses pareilles :
  • Il jugea qu’à son appétit
  • Dame Baleine était trop grosse.
  • Dame Fourmi trouva le Ciron trop petit,
  • Se croyant, pour elle, un colosse.
  • Jupin les renvoya s’étant censurés tous,
  • Du reste contents d’eux ; mais parmi les plus fous
  • Notre espèce excella ; car tout ce que nous sommes,
  • Lynx envers nos pareils, et taupes envers nous,
  • Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes.
  • On se voit d’un autre œil qu’on ne voit son prochain.
  • Le Fabricateur souverain
  • Nous créa besaciers tous de même manière,
  • Tant ceux du temps passé que du temps d’aujourd’hui :
  • Il fit pour nos défauts la poche de derrière,
  • Et celle de devant pour les défauts d’autrui.
  • Jean de LA FONTAINE, Fables, III, 7.

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