Accueil > Littérature > Anthologie > L > LA FONTAINE Jean de (1621-1695) > Les Animaux malades de la peste
- Un mal qui répand la terreur,
- Mal que le Ciel en sa fureur
- Inventa pour punir les crimes de la terre,
- La Peste (puisqu’il faut l’appeler par son nom)
- Capable d’enrichir en un jour l’Achéron,
- Faisait aux animaux la guerre.
- Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés :
- On n’en voyait point d’occupés
- A chercher le soutien d’une mourante vie ;
- Nul mets n’excitait leur envie ;
- Ni Loups ni Renards n’épiaient
- La douce et l’innocente proie.
- Les Tourterelles se fuyaient :
- Plus d’amour, partant plus de joie.
- Le Lion tint conseil, et dit : Mes chers amis,
- Je crois que le Ciel a permis
- Pour nos péchés cette infortune ;
- Que le plus coupable de nous
- Se sacrifie aux traits du céleste courroux,
- Peut-être il obtiendra la guérison commune.
- L’histoire nous apprend qu’en de tels accidents
- On fait de pareils dévouements :
- Ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgence
- L’état de notre conscience.
- Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons
- J’ai dévoré force moutons.
- Que m’avaient-ils fait ? Nulle offense :
- Même il m’est arrivé quelquefois de manger
- Le Berger.
- Je me dévouerai donc, s’il le faut ; mais je pense
- Qu’il est bon que chacun s’accuse ainsi que moi :
- Car on doit souhaiter selon toute justice
- Que le plus coupable périsse.
- - Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi ;
- Vos scrupules font voir trop de délicatesse ;
- Et bien, manger moutons, canaille, sotte espèce,
- Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes Seigneur
- En les croquant beaucoup d’honneur.
- Et quant au Berger l’on peut dire
- Qu’il était digne de tous maux,
- Etant de ces gens-là qui sur les animaux
- Se font un chimérique empire.
- Ainsi dit le Renard, et flatteurs d’applaudir.
- On n’osa trop approfondir
- Du Tigre, ni de l’Ours, ni des autres puissances,
- Les moins pardonnables offenses.
- Tous les gens querelleurs, jusqu’aux simples mâtins,
- Au dire de chacun, étaient de petits saints.
- L’Ane vint à son tour et dit : J’ai souvenance
- Qu’en un pré de Moines passant,
- La faim, l’occasion, l’herbe tendre, et je pense
- Quelque diable aussi me poussant,
- Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
- Je n’en avais nul droit, puisqu’il faut parler net.
- A ces mots on cria haro sur le baudet.
- Un Loup quelque peu clerc prouva par sa harangue
- Qu’il fallait dévouer ce maudit animal,
- Ce pelé, ce galeux, d’où venait tout leur mal.
- Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
- Manger l’herbe d’autrui ! quel crime abominable !
- Rien que la mort n’était capable
- D’expier son forfait : on le lui fit bien voir.
- Selon que vous serez puissant ou misérable,
- Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.
- Jean de La FONTAINE (1621-1695)
- Fables, VII, 1