Accueil > Littérature > Anthologie > L > LA FONTAINE Jean de (1621-1695) > Le Renard et la Cigogne
- Compère le Renard se mit un jour en frais,
- et retint à dîner commère la Cigogne.
- Le régal fût petit et sans beaucoup d’apprêts :
- Le galant pour toute besogne,
- Avait un brouet clair ; il vivait chichement.
- Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :
- La Cigogne au long bec n’en put attraper miette ;
- Et le drôle eut lapé le tout en un moment.
- Pour se venger de cette tromperie,
- A quelque temps de là, la Cigogne le prie.
- "Volontiers, lui dit-il ; car avec mes amis
- Je ne fais point cérémonie. "
- A l’heure dite, il courut au logis
- De la Cigogne son hôtesse ;
- Loua très fort la politesse ;
- Trouva le dîner cuit à point :
- Bon appétit surtout ; Renards n’en manquent point.
- Il se réjouissait à l’odeur de la viande
- Mise en menus morceaux, et qu’il croyait friande.
- On servit, pour l’embarrasser,
- En un vase à long col et d’étroite embouchure.
- Le bec de la Cigogne y pouvait bien passer ;
- Mais le museau du sire était d’autre mesure.
- Il lui fallut à jeun retourner au logis,
- Honteux comme un Renard qu’une Poule aurait pris,
- Serrant la queue, et portant bas l’oreille.
- Trompeurs, c’est pour vous que j’écris :
- Attendez-vous à la pareille.
- Jean de La FONTAINE (1621-1695)
- Fables, I, 18