Accueil > Littérature > Anthologie > L > LA FONTAINE Jean de (1621-1695) > Le Lion et le Moucheron
- "Va-t’en, chétif insecte, excrément de la terre ! "
- C’est en ces mots que le Lion
- Parlait un jour au Moucheron.
- L’autre lui déclara la guerre.
- "Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de Roi
- Me fasse peur ni me soucie ?
- Un boeuf est plus puissant que toi :
- Je le mène à ma fantaisie. "
- A peine il achevait ces mots
- Que lui-même il sonna la charge,
- Fut le Trompette et le Héros.
- Dans l’abord il se met au large ;
- Puis prend son temps, fond sur le cou
- Du Lion, qu’il rend presque fou.
- Le quadrupède écume, et son oeil étincelle ;
- Il rugit ; on se cache, on tremble à l’environ ;
- Et cette alarme universelle
- Est l’ouvrage d’un Moucheron.
- Un avorton de Mouche en cent lieux le harcelle :
- Tantôt pique l’échine, et tantôt le museau,
- Tantôt entre au fond du naseau.
- La rage alors se trouve à son faîte montée.
- L’invisible ennemi triomphe, et rit de voir
- Qu’il n’est griffe ni dent en la bête irritée
- Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir.
- Le malheureux Lion se déchire lui-même,
- Fait résonner sa queue à l’entour de ses flancs,
- Bat l’air, qui n’en peut mais ; et sa fureur extrême
- Le fatigue, l’abat : le voilà sur les dents.
- L’insecte du combat se retire avec gloire :
- Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,
- Va partout l’annoncer, et rencontre en chemin
- L’embuscade d’une araignée ;
- Il y rencontre aussi sa fin.
- Quelle chose par là nous peut être enseignée ?
- J’en vois deux, dont l’une est qu’entre nos ennemis
- Les plus à craindre sont souvent les plus petits ;
- L’autre, qu’aux grands périls tel a pu se soustraire,
- Qui périt pour la moindre affaire.
- Jean de La FONTAINE (1621-1695)
- Fables, II, 9