Accueil > Littérature > Anthologie > L > LA FONTAINE Jean de (1621-1695) > Le Lièvre et les Grenouilles
- Un Lièvre en son gîte songeait
- (Car que faire en un gîte, à moins que l’on ne songe ?) ;
- Dans un profond ennui ce Lièvre se plongeait :
- Cet animal est triste, et la crainte le ronge.
- "Les gens de naturel peureux
- Sont, disait-il, bien malheureux.
- Ils ne sauraient manger morceau qui leur profite ;
- Jamais un plaisir pur ; toujours assauts divers.
- Voilà comme je vis : cette crainte maudite
- M’empêche de dormir, sinon les yeux ouverts.
- Corrigez-vous, dira quelque sage cervelle.
- Et la peur se corrige-t-elle ?
- Je crois même qu’en bonne foi
- Les hommes ont peur comme moi. "
- Ainsi raisonnait notre Lièvre,
- Et cependant faisait le guet.
- Il était douteux, inquiet :
- Un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnait la fièvre.
- Le mélancolique animal,
- En rêvant à cette matière,
- Entend un léger bruit : ce lui fut un signal
- Pour s’enfuir devers sa tanière.
- Il s’en alla passer sur le bord d’un étang.
- Grenouilles aussitôt de sauter dans les ondes ;
- Grenouilles de rentrer en leurs grottes profondes.
- "Oh ! dit-il, j’en fais faire autant
- Qu’on m’en fait faire ! Ma présence
- Effraie aussi les gens ! je mets l’alarme au camp !
- Et d’où me vient cette vaillance ?
- Comment ? Des animaux qui tremblent devant moi !
- Je suis donc un foudre de guerre !
- Il n’est, je le vois bien, si poltron sur la terre
- Qui ne puisse trouver un plus poltron que soi. "
- Jean de La FONTAINE (1621-1695)
- Fables, II, 14