Accueil > Littérature > Anthologie > L > LA FONTAINE Jean de (1621-1695) > Le Lièvre et la Tortue
- Rien ne sert de courir ; il faut partir à point.
- Le Lièvre et la Tortue en sont un témoignage.
- Gageons, dit celle-ci, que vous n’atteindrez point
- Sitôt que moi ce but. - Sitôt ? Etes-vous sage ?
- Repartit l’animal léger.
- Ma commère, il vous faut purger
- Avec quatre grains d’ellébore.
- - Sage ou non, je parie encore.
- Ainsi fut fait : et de tous deux
- On mit près du but les enjeux :
- Savoir quoi, ce n’est pas l’affaire,
- Ni de quel juge l’on convint.
- Notre Lièvre n’avait que quatre pas à faire ;
- J’entends de ceux qu’il fait lorsque prêt d’être atteint
- Il s’éloigne des chiens, les renvoie aux Calendes,
- Et leur fait arpenter les landes.
- Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter,
- Pour dormir, et pour écouter
- D’où vient le vent, il laisse la Tortue
- Aller son train de Sénateur.
- Elle part, elle s’évertue ;
- Elle se hâte avec lenteur.
- Lui cependant méprise une telle victoire,
- Tient la gageure à peu de gloire,
- Croit qu’il y va de son honneur
- De partir tard. Il broute, il se repose,
- Il s’amuse à toute autre chose
- Qu’à la gageure. A la fin quand il vit
- Que l’autre touchait presque au bout de la carrière,
- Il partit comme un trait ; mais les élans qu’il fit
- Furent vains : la Tortue arriva la première.
- Eh bien ! lui cria-t-elle, avais-je pas raison ?
- De quoi vous sert votre vitesse ?
- Moi, l’emporter ! et que serait-ce
- Si vous portiez une maison ?
- Jean de La FONTAINE (1621-1695)
- Fables, VI, 10