Accueil > Littérature > Anthologie > L > LA FONTAINE Jean de (1621-1695) > Le Lièvre et la Tortue

Le Lièvre et la Tortue

vendredi 23 décembre 2011, par Silvestre Baudrillart

  • Rien ne sert de courir ; il faut partir à point.
  • Le Lièvre et la Tortue en sont un témoignage.
  • Gageons, dit celle-ci, que vous n’atteindrez point
  • Sitôt que moi ce but. - Sitôt ? Etes-vous sage ?
  • Repartit l’animal léger.
  • Ma commère, il vous faut purger
  • Avec quatre grains d’ellébore.
  • - Sage ou non, je parie encore.
  • Ainsi fut fait : et de tous deux
  • On mit près du but les enjeux :
  • Savoir quoi, ce n’est pas l’affaire,
  • Ni de quel juge l’on convint.
  • Notre Lièvre n’avait que quatre pas à faire ;
  • J’entends de ceux qu’il fait lorsque prêt d’être atteint
  • Il s’éloigne des chiens, les renvoie aux Calendes,
  • Et leur fait arpenter les landes.
  • Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter,
  • Pour dormir, et pour écouter
  • D’où vient le vent, il laisse la Tortue
  • Aller son train de Sénateur.
  • Elle part, elle s’évertue ;
  • Elle se hâte avec lenteur.
  • Lui cependant méprise une telle victoire,
  • Tient la gageure à peu de gloire,
  • Croit qu’il y va de son honneur
  • De partir tard. Il broute, il se repose,
  • Il s’amuse à toute autre chose
  • Qu’à la gageure. A la fin quand il vit
  • Que l’autre touchait presque au bout de la carrière,
  • Il partit comme un trait ; mais les élans qu’il fit
  • Furent vains : la Tortue arriva la première.
  • Eh bien ! lui cria-t-elle, avais-je pas raison ?
  • De quoi vous sert votre vitesse ?
  • Moi, l’emporter ! et que serait-ce
  • Si vous portiez une maison ?
  • Jean de La FONTAINE (1621-1695)
  • Fables, VI, 10