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Le Héron

vendredi 23 décembre 2011, par Silvestre Baudrillart

  • Un jour, sur ses longs pieds, allait je ne sais où,
  • Le Héron au long bec emmanché d’un long cou.
  • Il côtoyait une rivière.
  • L’onde était transparente ainsi qu’aux plus beaux jours ;
  • Ma commère la carpe y faisait mille tours
  • Avec le brochet son compère.
  • Le Héron en eût fait aisément son profit :
  • Tous approchaient du bord, l’oiseau n’avait qu’à prendre ;
  • Mais il crut mieux faire d’attendre
  • Qu’il eût un peu plus d’appétit.
  • Il vivait de régime, et mangeait à ses heures.
  • Après quelques moments l’appétit vint : l’oiseau
  • S’approchant du bord vit sur l’eau
  • Des Tanches qui sortaient du fond de ces demeures.
  • Le mets ne lui plut pas ; il s’attendait à mieux
  • Et montrait un goût dédaigneux
  • Comme le rat du bon Horace.
  • Moi des Tanches ? dit-il, moi Héron que je fasse
  • Une si pauvre chère ? Et pour qui me prend-on ?
  • La Tanche rebutée il trouva du goujon.
  • Du goujon ! c’est bien là le dîner d’un Héron !
  • J’ouvrirais pour si peu le bec ! aux Dieux ne plaise !
  • Il l’ouvrit pour bien moins : tout alla de façon
  • Qu’il ne vit plus aucun poisson.
  • La faim le prit, il fut tout heureux et tout aise
  • De rencontrer un limaçon.
  • Ne soyons pas si difficiles :
  • Les plus accommodants ce sont les plus habiles :
  • On hasarde de perdre en voulant trop gagner.
  • Gardez-vous de rien dédaigner ;
  • Surtout quand vous avez à peu près votre compte.
  • Jean de La FONTAINE (1621-1695)
  • Fables, VII, 4