Accueil > Littérature > Anthologie > L > LA FONTAINE Jean de (1621-1695) > Le Cochet, le Chat, et le Souriceau
- Un Souriceau tout jeune, et qui n’avait rien vu,
- Fut presque pris au dépourvu.
- Voici comme il conta l’aventure à sa mère :
- J’avais franchi les Monts qui bornent cet Etat,
- Et trottais comme un jeune Rat
- Qui cherche à se donner carrière,
- Lorsque deux animaux m’ont arrêté les yeux :
- L’un doux, bénin et gracieux,
- Et l’autre turbulent, et plein d’inquiétude.
- Il a la voix perçante et rude,
- Sur la tête un morceau de chair,
- Une sorte de bras dont il s’élève en l’air
- Comme pour prendre sa volée,
- La queue en panache étalée.
- Or c’était un Cochet dont notre Souriceau
- Fit à sa mère le tableau,
- Comme d’un animal venu de l’Amérique.
- Il se battait, dit-il, les flancs avec ses bras,
- Faisant tel bruit et tel fracas,
- Que moi, qui grâce aux Dieux, de courage me pique,
- En ai pris la fuite de peur,
- Le maudissant de très bon coeur.
- Sans lui j’aurais fait connaissance
- Avec cet animal qui m’a semblé si doux.
- Il est velouté comme nous,
- Marqueté, longue queue, une humble contenance ;
- Un modeste regard, et pourtant l’oeil luisant :
- Je le crois fort sympathisant
- Avec Messieurs les Rats ; car il a des oreilles
- En figure aux nôtres pareilles.
- Je l’allais aborder, quand d’un son plein d’éclat
- L’autre m’a fait prendre la fuite.
- - Mon fils, dit la Souris, ce doucet est un Chat,
- Qui sous son minois hypocrite
- Contre toute ta parenté
- D’un malin vouloir est porté.
- L’autre animal tout au contraire
- Bien éloigné de nous mal faire,
- Servira quelque jour peut-être à nos repas.
- Quant au Chat, c’est sur nous qu’il fonde sa cuisine.
- Garde-toi, tant que tu vivras,
- De juger des gens sur la mine.
- Jean de La FONTAINE (1621-1695)
- Fables, VI, 5