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Ô soldats de l’an deux ! ...

dimanche 18 décembre 2011, par Silvestre Baudrillart

  • Ô soldats de l’an deux ! ô guerres ! épopées !
  • Contre les rois tirant ensemble leurs épées,
  • Prussiens, Autrichiens,
  • Contre toutes les Tyrs et toutes les Sodomes,
  • Contre le czar du nord, contre ce chasseur d’hommes
  • Suivi de tous ses chiens,
  • Contre toute l’Europe avec ses capitaines,
  • Avec ses fantassins couvrant au loin les plaines,
  • Avec ses cavaliers,
  • Tout entière debout comme une hydre vivante,
  • Ils chantaient, ils allaient, l’âme sans épouvante
  • Et les pieds sans souliers !
  • Au levant, au couchant, partout, au sud, au pôle,
  • Avec de vieux fusils sonnant sur leur épaule,
  • Passant torrents et monts,
  • Sans repos, sans sommeil, coudes percés, sans vivres,
  • Ils allaient, fiers, joyeux, et soufflant dans des cuivres
  • Ainsi que des démons !
  • La Liberté sublime emplissait leurs pensées.
  • Flottes prises d’assaut, frontières effacées
  • Sous leur pas souverain,
  • Ô France, tous les jours, c’était quelque prodige,
  • Chocs, rencontres, combats ; et Joubert sur l’Adige,
  • Et Marceau sur le Rhin !
  • On battait l’avant-garde, on culbutait le centre ;
  • Dans la pluie et la neige et de l’eau jusqu’au ventre,
  • On allait ! en avant !
  • Et l’un offrait la paix, et l’autre ouvrait ses portes,
  • Et les trônes, roulant comme des feuilles mortes,
  • Se dispersaient au vent !
  • Oh ! que vous étiez grands au milieu des mêlées,
  • Soldats ! L’œil plein d’éclairs, faces échevelées
  • Dans le noir tourbillon,
  • Ils rayonnaient, debout, ardents, dressant la tête ;
  • Et comme les lions aspirent la tempête
  • Quand souffle l’aquilon,
  • Eux, dans l’emportement de leurs luttes épiques,
  • Ivres, ils savouraient tous les bruits héroïques,
  • Le fer heurtant le fer,
  • La Marseillaise ailée et volant dans les balles,
  • Les tambours, les obus, les bombes, les cymbales,
  • Et ton rire, ô Kléber !
  • La Révolution leur criait : — Volontaires,
  • Mourez pour délivrer tous les peuples vos frères !
  • Contents, ils disaient oui.
  • — Allez, mes vieux soldats, mes généraux imberbes !
  • Et l’on voyait marcher ces va-nu-pieds superbes
  • Sur le monde ébloui !
  • La tristesse et la peur leur étaient inconnues.
  • Ils eussent, sans nul doute, escaladé les nues
  • Si ces audacieux,
  • En retournant les yeux dans leur course olympique,
  • Avaient vu derrière eux la grande République
  • Montrant du doigt les cieux !...

Victor HUGO (1802-1885)
Les Châtiments