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Aux Feuillantines

dimanche 18 décembre 2011, par Silvestre Baudrillart

  • Mes deux frères et moi, nous étions tout enfants.
  • Notre mère disait : jouez, mais je défends
  • Qu’on marche dans les fleurs et qu’on monte aux échelles.
  • Abel était l’aîné, j’étais le plus petit.
  • Nous mangions notre pain de si bon appétit,
  • Que les femmes riaient quand nous passions près d’elles.
  • Nous montions pour jouer au grenier du couvent.
  • Et là, tout en jouant, nous regardions souvent
  • Sur le haut d’une armoire un livre inaccessible.
  • Nous grimpâmes un jour jusqu’à ce livre noir ;
  • Je ne sais pas comment nous fimes pour l’avoir,
  • Mais je me souviens bien que c’était une Bible.
  • Ce vieux livre sentait une odeur d’encensoir.
  • Nous allâmes ravis dans un coin nous asseoir.
  • Des estampes partout ! quel bonheur ! quel délire !
  • Nous l’ouvrîmes alors tout grand sur nos genoux,
  • Et dès le premier mot il nous parut si doux
  • Qu’oubliant de jouer, nous nous mîmes à lire.
  • Nous lûmes tous les trois ainsi, tout le matin,
  • Joseph, Ruth et Booz, le bon Samaritain,
  • Et, toujours plus charmés, le soir nous le relûmes.
  • Tels des enfants, s’ils ont pris un oiseau des cieux,
  • S’appellent en riant et s’étonnent, joyeux,
  • De sentir dans leur main la douceur de ses plumes.
  • VICTOR HUGO (1802-1885)