Accueil > Littérature > Anthologie > B > BAUDELAIRE Charles (1821-1867) > La servante au grand cœur
- La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse,
- Et qui dort son sommeil sous une humble pelouse,
- Nous devrions pourtant lui porter quelques fleurs.
- Les morts, les pauvres morts, ont de grandes douleurs,
- Et quand Octobre souffle, émondeur des vieux arbres,
- Son vent mélancolique à l’entour de leurs marbres,
- Certe, ils doivent trouver les vivants bien ingrats,
- A dormir, comme ils font, chaudement dans leurs draps,
- Tandis que, dévorés de noires songeries,
- Sans compagnon de lit, sans bonnes causeries,
- Vieux squelettes gelés travaillés par le ver,
- Ils sentent s’égoutter les neiges de l’hiver
- Et le siècle couler, sans qu’amis ni famille
- Remplacent les lambeaux qui pendent à leur grille.
- Lorsque la bûche siffle et chante, si le soir,
- Calme, dans le fauteuil, je la voyais s’asseoir,
- Si, par une nuit bleue et froide de décembre,
- Je la trouvais tapie en un coin de ma chambre,
- Grave, et venant du fond de son lit éternel
- Couver l’enfant grandi de son oeil maternel,
- Que pourrais-je répondre à cette âme pieuse,
- Voyant tomber des pleurs de sa paupière creuse ?
- Charles BAUDELAIRE (1821-1867)
- Les fleurs du mal