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- Dans Florence, jadis vivait un médecin
- Savant hâbleur, dit-on, et célèbre assassin.
- Lui seul y fit longtemps la publique misère
- Là le fils orphelin lui redemande un père ;
- Ici le frère pleure un frère empoisonné.
- L’un meurt vide de sang, l’autre plein de séné ;
- Le rhume à son aspect se change en pleurésie,
- Et par lui la migraine est bientôt frénésie,
- Il quitte enfin la ville, en tous lieux détesté.
- De tous ses amis morts un seul ami resté
- Le mène en sa maison de superbe structure
- C’était un riche abbé, fou de l’architecture.
- Le médecin d’abord semble né dans cet art,
- Déjà de bâtiments parle comme Mansart :
- D’un salon qu’on élève il condamne la face ;
- Au vestibule obscur il marque une autre place,
- Approuve l’escalier tourné d’autre façon.
- Son ami le conçoit, et mande son maçon.
- Le maçon vient, écoute, approuve et se corrige.
- Enfin pour abréger un si plaisant prodige,
- Notre assassin renonce à son art inhumain ;
- Et désormais, la règle et l’équerre à la main,
- Laissant de Galien la science suspecte,
- De méchant médecin devient bon architecte.
- Son exemple est pour nous un précepte excellent.
- Soyez plutôt maçon, si c’est votre talent
- Ouvrier estimé dans un art nécessaire,
- Qu’écrivain du commun et poète vulgaire.
- Nicolas BOILEAU (1636-1711)
- Art Poétique, IV