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Soyez plutôt maçon...

mercredi 16 novembre 2011, par Silvestre Baudrillart

  • Dans Florence, jadis vivait un médecin
  • Savant hâbleur, dit-on, et célèbre assassin.
  • Lui seul y fit longtemps la publique misère
  • Là le fils orphelin lui redemande un père ;
  • Ici le frère pleure un frère empoisonné.
  • L’un meurt vide de sang, l’autre plein de séné ;
  • Le rhume à son aspect se change en pleurésie,
  • Et par lui la migraine est bientôt frénésie,
  • Il quitte enfin la ville, en tous lieux détesté.
  • De tous ses amis morts un seul ami resté
  • Le mène en sa maison de superbe structure
  • C’était un riche abbé, fou de l’architecture.
  • Le médecin d’abord semble né dans cet art,
  • Déjà de bâtiments parle comme Mansart :
  • D’un salon qu’on élève il condamne la face ;
  • Au vestibule obscur il marque une autre place,
  • Approuve l’escalier tourné d’autre façon.
  • Son ami le conçoit, et mande son maçon.
  • Le maçon vient, écoute, approuve et se corrige.
  • Enfin pour abréger un si plaisant prodige,
  • Notre assassin renonce à son art inhumain ;
  • Et désormais, la règle et l’équerre à la main,
  • Laissant de Galien la science suspecte,
  • De méchant médecin devient bon architecte.
  • Son exemple est pour nous un précepte excellent.
  • Soyez plutôt maçon, si c’est votre talent
  • Ouvrier estimé dans un art nécessaire,
  • Qu’écrivain du commun et poète vulgaire.
  • Nicolas BOILEAU (1636-1711)
  • Art Poétique, IV