Accueil > Littérature > Anthologie > B > BOILEAU Nicolas (1636-1711) > Les embarras de Paris
- Qui frappe l’air, bon Dieu ! de ces lugubres cris ?
- Est-ce donc pour veiller qu’on se couche à Paris ?
- Et quel fâcheux démon, durant les nuits entières,
- Rassemble ici les chats de toutes les gouttières ?
- J’ai beau sauter du lit, plein de trouble et d’effroi,
- Je pense qu’avec eux tout l’enfer est chez moi :
- L’un miaule en grondant comme un tigre en furie ;
- L’autre roule sa voix comme un enfant qui crie.
- Ce n’est pas tout encor : les souris et les rats
- Semblent, pour m’éveiller, s’entendre avec les chats,
- Plus importuns pour moi, durant la nuit obscure,
- Que jamais, en plein jour, ne fut l’abbé de Pure.
- Tout conspire à la fois à troubler mon repos,
- Et je me plains ici du moindre de mes maux :
- Car à peine les coqs, commençant leur ramage,
- Auront des cris aigus frappé le voisinage
- Qu’un affreux serrurier, laborieux Vulcain,
- Qu’éveillera bientôt l’ardente soif du gain,
- Avec un fer maudit, qu’à grand bruit il apprête,
- De cent coups de marteau me va fendre la tête.
- J’entends déjà partout les charrettes courir,
- Les maçons travailler, les boutiques s’ouvrir :
- Tandis que dans les airs mille cloches émues
- D’un funèbre concert font retentir les nues ;
- Et, se mêlant au bruit de la grêle et des vents,
- Pour honorer les morts font mourir les vivants.
- Nicolas BOILEAU (1636-1711)
- Satires