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Le latin, ce vieil ami

jeudi 3 mars 2016, par Silvestre Baudrillart

Pourquoi veut-on tuer le latin, cette langue morte ? N’est-il pas encore un peu trop vivant pour certains ? Parce qu’on l’aura supprimé, va-t-on pour cela mieux enseigner l’informatique ou préparer les élèves aux professions de demain ? Pourquoi ne veut-on plus les faire passer par le bain de la latinité ?

Un détour nécessaire

Tout d’abord, le latin, cette langue universelle, n’est-il pas un bon détour pour enseigner le français et les langues étrangères ? Le français d’abord, parce que l’attention aux mots latins nous permet de revenir aux racines de notre vocabulaire ; l’orthographe française, bien qu’elle évolue (comme elle l’a toujours fait d’ailleurs), est un reflet de nos origines latines.

Le latin est aussi la langue-mère des langues romanes : l’italien, l’espagnol, le portugais, le roumain ; bon nombre des mots du vocabulaire anglais lui sont également redevables. A partir des mots latins, c’est tout le vocabulaire de nos voisins que nous apprendrons plus facilement. L’espagnol, l’italien sont en effet beaucoup plus proches que le français de l’original latin.

Enfin, le modèle des déclinaisons latines est aisément transposable dans les autres langues à déclinaisons : l’allemand, le russe, le grec. C’est un premier pas qui permet d’aller plus loin.

Une civilisation qui nous parle encore

Le latin, c’est aussi l’accès à une civilisation, celle de la Méditerranée gréco-romaine. Un monde qui a créé la démocratie, qui a analysé les systèmes politiques, qui a inventé la philosophie et la théologie ; une langue dans laquelle écrivaient saint Thomas d’Aquin et Descartes ; une mythologie qui féconde encore nos imaginaires par la portée de ses récits ; la source de notre droit ; le modèle de toute l’esthétique classique ; un empire qui a permis l’éclosion du christianisme à l’ombre de ses institutions.

Cette civilisation, dont nous respectons les ruines, parce que nous en comprenons le sens, nous parle à travers ses maximes, ses proverbes, ses citations, qui sont encore, plus qu’on ne croit, présentes dans notre langue. Que dire du minimum et du maximum, des conditions sine qua non, des a priori et des a posteriori, du mens sana in corpore sano ?

Une littérature riche de sens

Notre littérature s’est créée à l’ombre des lettres latines, par lesquelles s’éclairent de nombreuses œuvres : La Fontaine, mais aussi Molière, Corneille et Racine, Chateaubriand et Victor Hugo, Baudelaire, Rimbaud et Paul Valéry doivent beaucoup aux œuvres littéraires latines, qu’ils ont lues et chéries.

La poésie latine s’offre à nous avec une harmonie finalement très accessible : Virgile, Horace et les hymnes religieuses chrétiennes chantent dans notre mémoire avec de douces consonances. La simplicité de César, la rhétorique de Tite-Live, les raccourcis de Tacite sont des découvertes littéraires qui s’offrent aux jeunes intelligences, aux cerveaux de nos lycéens… Notre prière peut encore se nourrir de l’Adoro Te Devote ou du Stabat Mater, ou comprendre les nuances rythmiques du Salve Regina. Et que dire du sens profond du Credo, ou de l’ensemble de la liturgie catholique ? Il y a peu de temps encore, celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas pouvaient encore se comprendre ou discuter en latin.

Mais combien de temps encore cela va-t-il durer ? Le glas de tout cela a-t-il déjà sonné ? Allons-nous briser cette culture commune ?

Alors, pourquoi ?

J’irais plus loin : quelle culture, quelle unité voulons-nous faire ? Celle d’un enseignement appauvri, qui ne permettra plus ce que permettait l’école de jadis ? Les portes du savoir se sont-elles refermées sur quelques privilégiés ? L’idéal de la renaissance, poursuivant d’ailleurs la quête du Moyen Âge, n’était-il pas de rendre proches ces grands modèles ? Comment ne pas regretter que tout ce qui avait constitué la fleur de notre culture soit devenu à peu près inaccessible ? Il y a pourtant encore de nombreux professeurs bien formés et disposés à faire partager leur savoir. Quelle est cette égalité, qui s’aligne sur le plus petit commun dénominateur ? Que veut-on, au fond ? Tout en me gardant de donner des réponses toutes faites, je ne peux que déplorer qu’on ait choisi de sacrifier le latin, ciment culturel de l’Europe.

Silvestre Baudrillart