Accueil > Littérature > Anthologie > C > CHÉNIER André (1762-1794) > La Jeune Captive
- L’épi naissant mûrit de la faux respecté ;
- Sans crainte du pressoir, le pampre, tout l’été
- Boit les doux présents de l’aurore ;
- Et moi, comme lui belle, et jeune comme lui,
- Quoi que l’heure présente ait de trouble et d’ennui,
- Je ne veux pas mourir encore.
- Qu’un stoïque aux yeux secs vole embrasser la mort :
- Moi je pleure et j’espère. Au noir souffle du nord
- Je plie et relève ma tête.
- S’il est des jours amers, il en est de si doux !
- Hélas ! quel miel jamais n’a laissé de dégoûts ?
- Quelle mer n’a point de tempête ?
- L’illusion féconde habite dans mon sein.
- D’une prison sur moi les murs pèsent en vain,
- J’ai les ailes de l’espérance :
- Échappée aux réseaux de l’oiseleur cruel,
- Plus vive, plus heureuse, aux campagnes du ciel
- Philomèle, chante et s’élance.
- Est-ce à moi de mourir ? Tranquille je m’endors,
- Et tranquille je veille, et ma veille aux remords
- Ni mon sommeil ne sont en proie.
- Ma bienvenue au jour me rit dans tous les yeux ;
- Sur des fronts abattus, mon aspect dans ces lieux
- Ranime presque de la joie.
- Mon beau voyage encore est si loin de sa fin !
- Je pars, et des ormeaux qui bordent le chemin
- J’ai passé les premiers à peine.
- Au banquet de la vie à peine commencé,
- Un instant seulement mes lèvres ont pressé
- La coupe en mes mains encor pleine.
- Je ne suis qu’au printemps, je veux voir la moisson ;
- Et comme le soleil, de-saison en saison,
- Je veux achever mon année.
- Brillante sur ma tige et l’honneur du jardin,
- Je n’ai vu luire encor que les feux du matin ;
- Je veux achever ma journée.
- O Mort ! Tu peux attendre ; éloigne, éloigne-toi ;
- Va consoler les cœurs que la honte, l’effroi,
- Le pâle désespoir dévore.
- Pour moi Palès encore a des asiles verts,
- Les Amours des baisers, les Muses des concerts ;
- Je ne veux pas mourir encore.
- Ainsi, triste et captif, ma lyre toutefois
- S’éveillait, écoutait ces plaintes, cette voix,
- Ces vœux d’une jeune captive ;
- Et secouant le faix de mes jours languissants,
- Aux douces lois des vers je pliai les accents
- De sa bouche aimable et naïve.
- Ces chants, de ma prison témoins harmonieux,
- Feront à quelque amant des loisirs studieux
- Chercher quelle fut cette belle.
- La grâce décorait son front et ses discours,
- Et, comme elle, craindront de voir finir leurs jours
- Ceux qui les passeront près d’elle.