à Jules Supervielle.
- Les bois étaient tout recouverts de brumes basses,
- Déserts, gonflés de pluie et silencieux ;
- Longtemps avait soufflé ce vent du Nord où passent
- Les Enfants Sauvages, fuyant vers d’autres cieux,
- Par grands voiliers, le soir, et très haut dans l’espace
- J’avais senti siffler leurs ailes dans la nuit,
- Lorsqu’ils avaient baissé pour chercher les ravines
- Où tout le jour, peut-être, ils resteront enfouis ;
- Et cet appel inconsolé de sauvagine
- Triste, sur les marais que les oiseaux ont fuis.
- Après avoir surpris le dégel de ma chambre,
- A l’aube, je gagnai la lisière des bois ;
- Par une bonne lune de brouillard et d’ambre
- Je relevai la trace, incertaine parfois,
- Sur le bord du layon, d’un enfant de Septembre.
- Les pas étaient légers et tendres, mais brouillés,
- Ils se croisaient d’abord au milieu des ornières
- Où dans l’ombre, tranquille, il avait essayé
- De boire, pour reprendre ses jeux solitaires
- Très tard, après le long crépuscule mouillé.
- Et puis, ils se perdaient plus loin parmi les hêtres
- Où son pied ne marquait qu’à peine sur le sol ;
- Je me suis dit : il va s’en retourner peut-être
- A l’aube, pour chercher ses compagnons de vol,
- En tremblant de la peur qu’ils aient pu disparaître.
- Il va certainement venir dans ces parages
- A la demi-clarté qui monte à l’orient,
- Avec les grandes bandes d’oiseaux de passage,
- Et les cerfs inquiets qui cherchent dans le vent
- L’heure d’abandonner le calme des gagnages.
- Le jour glacial s’était levé sur les marais ;
- Je restais accroupi dans l’attente illusoire,
- Regardant défiler la faune qui rentrait
- Dans l’ombre, les chevreuils peureux qui venaient boire
- Et les corbeaux criards, aux cimes des forêts.
- Et je me dis : je suis un enfant de Septembre,
- Moi-même, par le coeur, la fièvre et l’esprit,
- Et la brûlante volupté de tous mes membres,
- Et le désir que j’ai de courir dans la nuit
- Sauvage, ayant quitté l’étouffement des chambres.
- Il va certainement me traiter comme un frère,
- Peut-être me donner un nom parmi les siens ;
- Mes yeux le combleraient d’amicales lumières
- S’il ne prenait pas peur, en me voyant soudain
- Les bras ouverts, courir vers lui dans la clairière.
- Farouche, il s’enfuira comme un oiseau blessé,
- Je le suivrai jusqu’à ce qu’il demande grâce,
- Jusqu’à ce qu’il s’arrête en plein ciel, épuisé,
- Traqué jusqu’à la mort, vaincu, les ailes basses,
- Et les yeux résignés à mourir, abaissés.
- Alors, je le prendrai dans mes bras, endormi,
- Je le caresserai sur la pente des ailes,
- Et je ramènerai son petit corps, parmi
- Les roseaux, rêvant à des choses irréelles,
- Réchauffé tout le temps par mon sourire ami...
- Mais les bois étaient recouverts de brumes basses
- Et le vent commençait à remonter au Nord,
- Abandonnant tous ceux dont les ailes sont lasses,
- Tous ceux qui sont perdus et tous ceux qui sont morts,
- Qui vont par d’autres voies en de mêmes espaces !
- Et je me suis dit : Ce n’est pas dans ces pauvres landes
- Que les enfants de Septembre vont s’arrêter ;
- Un seul qui se serait écarté de sa bande
- Aurait-il, en un soir, compris l’atrocité
- De ces marais déserts et privés de légende ?
Patrice de La Tour du Pin (1911-1975)