- Je sortais de moi lentement,
- Je fus pris dans un beau vent souple
- Chaud comme un naseau de jument
- Et velouté comme sa croupe.
- Et tous les regards forestiers,
- Perles de givre dans les branches
- Ou tapis comme les pervenches
- Me regardaient qui m’éloignais.
- Ils m’en voulaient de cette fuite,
- Car j’abandonnais ma forêt
- Intime et sourcilleuse et triste
- Pour un beau vent bien moins secret.
- Ils me reprochaient mon envol,
- Leurs yeux me perçaient durement,
- Mais le vent baissa jusqu’au sol
- Et moi j’ai enfourché le vent...
- Celui qui passe les limites
- Des âmes d’hommes interdites
- Jusque là par manque d’amour,
- Celui qui se gorge d’espace
- Et celui du lit de la Grâce
- Dans sa croisière au plus long cours.
- Mais comme il emportait au corps
- Les relents de toute contrées,
- D’un coup je tirai sur son mors
- Et retournai vers ma forêt,
- Galopai sa plus longue laie
- Fis un grand courant d’air doré
- Où me suivaient biches et cerfs,
- Tendis les branches violemment,
- Entraînai tout dans mon élan,
- Ma forêt qui devenait blonde
- Comme le soleil l’animait ;
- Et j’ai chevauché sur le monde
- Porteur de tout ce que j’aimais...
Patrice de La Tour du Pin (1911-1975)