Accueil > Vie chrétienne > Spiritualité > Chrétien à 100 % : l’unité de vie

Chrétien à 100 % : l’unité de vie

lundi 24 octobre 2011, par Silvestre Baudrillart

« Que votre oui soit oui, que votre non soit non » (Mt 5, 37). L’un des grands défis de l’Évangile, c’est l’exigence d’aller jusqu’au bout, de vivre un christianisme authentique. Le Fils de Dieu s’est fait homme, depuis l’embryon jusqu’à la Croix ; Il a affronté toute sa vie les pharisiens qui « disent et ne font pas » (Mt 23, 3) ; et il attend des chrétiens, qui sont « son Corps » (Col 1, 24) sur cette terre, cette profonde cohérence.

Une unité en profondeur

L’unité de vie est avant tout une qualité humaine : c’est l’unité entre mes pensées, ma parole et mon action. Tout homme se doit d’être cohérent avec lui-même ; c’est une affaire de respect, d’estime de soi, d’honneur. Mais c’est difficile, cela demande beaucoup de force d’âme. Il est tellement plus commode de se laisser entraîner par les vents dominants. Prenez Salomon : Dieu lui avait octroyé la sagesse ; cela ne l’empêcha pas d’honorer, dans sa vieillesse, les idoles de ses femmes étrangères (cf. 1 Rois, 11).

L’unité doit se faire de l’intérieur vers l’extérieur : des principes vers l’agir. Sinon, elle risque de se constituer dans l’autre sens ; ce sera l’agir qui influencera les principes. Comme le disait Paul Bourget, « il faut vivre comme l’on pense, autrement l’on finit par penser comme l’on vit. »

Pour un chrétien, le Christ est au cœur de cette unité de vie, Lui qui est « interior intimo meo et superior summo meo » (plus intime à moi que moi-même et supérieur à ce que j’ai de plus haut : saint Augustin, Confessions, III, 6, 11). De manière fondamentale, chaque baptisé est le Christ, par le caractère indélébile du sacrement. Ce qui n’implique pas, au contraire, que le fidèle perde sa personnalité : de même que les saints, très différents par leurs tempéraments, sont, chacun à leur manière, un reflet du visage du Christ.

Pourquoi vivre cette unité ?

On peut se demander pourquoi tant tenir à cette unité. Dans le monde moderne où tout est compartimenté, nous pourrions être comme ces marins du proverbe qui avaient « une épouse dans chaque port ». Sur Internet, on gère bien ses pseudonymes, sans que quiconque y trouve à redire.

Plus concrètement, nous pourrions suivre l’exemple de tel candidat à la présidentielle, pratiquant dominical assidu, qui affirmait que sa foi n’avait aucune incidence sur son action politique. Prétendue laïcité à la française, qui suscite des dialogues de sourds de ce genre : « Êtes-vous catholique ? — Je suis fonctionnaire ! » (entendu en juillet 2008)… Dans l’entreprise, on peut parler de tout, mais pas de religion, car « cela contreviendrait à la laïcité » : qu’y a-t-il de fondé là-dedans ? Pas grand-chose.

La réponse est à chercher dans l’unité de la personne. Corps et âme ; pensée, paroles et actions… on ne peut « dépouiller sa qualité de catholique, en entrant à l’université ou dans un groupement professionnel, à l’académie ou au parlement, comme on laisse un pardessus au vestiaire » (saint Josémaria, Chemin, 353).

C’est une question de logique et de cohérence. Il serait malsain de proclamer des principes pour les autres, sans chercher, à tout le moins, à les vivre pour soi-même. C’est le péché pharisaïque : « Ils lient de pesants fardeaux et en chargent les épaules des gens ; mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt » (Mt 23, 4). La condamnation des pharisiens ne concerne pas une population particulière, mais une manière d’être qui menace, finalement, en permanence les chrétiens. Les paroles de l’Évangile sont avant tout écrites « pour nous ».

Revêtir le Christ

« Cœur, instinct, principes », écrivit énigmatiquement Pascal (Pensées, Br. 281). Il semble qu’il ait voulu exprimer ainsi l’ordre naturel de la sensibilité humaine : ce qui touche le cœur imprègne ensuite l’instinct, puis se spiritualise dans les principes. Il faut donc en passer par le cœur. On peut le redouter, car il est le siège de cet émotionnel tant sollicité par notre civilisation mercantile. Mais le cœur est aussi un moteur, d’une puissance et d’une solidité éprouvée ; un moteur nécessaire à cette recherche ardue de la sainteté.

Tout commence par l’amitié avec Jésus. Une amitié profonde, une rencontre que doit faire tout un chacun. La prière ne doit pas être une simple répétition de mots, mais un face-à-face, une mise à nu de tout l’être. Seul à seul avec Dieu, sans faux-semblants. Lui parler, comme on parle à un ami. « Je L’avise, et Il m’avise, » disait un paysan au Curé d’Ars. Cette amitié est dominante, sans pour autant être exclusive. Terriblement exigeante, elle implique un don de soi en profondeur. À sa lumière, la vie prend un nouveau sens.

L’amitié avec Jésus ne saurait se limiter à une relation intime. Elle se manifeste extérieurement par un signe : le baptême. Ce sacrement fait de nous « une création nouvelle » (2 Co 5, 17), « un fils adoptif de Dieu » (Catéchisme de l’Église catholique, 1265). La filiation divine, plus forte que toute amitié, imprègne tout action du chrétien d’un sentiment d’incomparable dignité : « Agnosce, christiane, dignitatem tuam » (Reconnais, chrétien, ta dignité ; saint Léon le Grand, Homilia in Nativitate Domini, 21, 3).

Les autres sacrements suivent. La première cohérence est celle de la Messe dominicale. « Nous ne pouvions pas ne pas nous réunir parce que nous, disciples de Jésus, nous ne pouvons pas vivre sans célébrer l’Eucharistie du dimanche, » disait en 304, à Abilène, un chrétien nommé Eméritus qui avait assisté à la Messe contre l’édit de Dioclétien. Sine dominico vivere non possumus !

Cela doit rayonner dans notre agir : « Comme j’aimerais que ton comportement et ta conversation fussent tels que l’on pût dire en te voyant ou en t’écoutant : voilà quelqu’un qui lit la vie du Christ ! » (saint Josémaria, Chemin, 2). Le fondateur de l’Opus Dei donne également ce conseil au point 271 de Chemin : « Vœux d’une âme de prière : que Jésus soit dans nos intentions, notre but ; dans nos affections, notre Amour — dans nos propos, notre thème ; dans nos actes, notre modèle. »

Vivre les vertus humaines

Le Christ est vrai Dieu, mais aussi vrai homme. Celui qui veut atteindre l’unité de vie doit s’efforcer de pratiquer les vertus humaines : justice, sincérité, droiture, tempérance, courage…
— Courage de défendre l’Église, comme un fils défend sa mère, à chaque fois que nous la voyons attaquée.
— Soif de justice, pour en finir avec de pseudo-lois qui bafouent les droits de la personne : avortement, contraception, euthanasie. Les droits de la vie sont à la fois des droits de Dieu et de l’homme.
— Le chrétien défend aussi la liberté religieuse, pour lui comme pour tout autre croyant ; la famille, qui porte sur ses épaules l’avenir de la société ; la liberté scolaire, qui se trouve au carrefour de tant d’autres libertés.
— Cohérence avec la pensée de l’Église sur les thèmes qui relèvent du dogme ou de la morale : l’ordination des femmes, l’homosexualité, le mariage à l’essai, la prétendue libération sexuelle, l’autorité du pape, le divorce…
— Soif de vérité, pour se former sur les points controversés de l’Histoire de l’Église, où nos contemporains ne rencontrent que propagande anti-chrétienne : l’Inquisition, les Croisades, Pie XII et les Juifs, la femme dans l’Église, les rapports avec le pouvoir politique… Dire sincèrement ce qui est, au risque de sortir de l’historiquement correct.
— Loyauté et respect des autres : ne pas mal parler d’une personne derrière son dos ; éviter, dans la conversation, les thèmes scabreux ou les allusions salaces ; refuser toute forme d’exclusivisme, de racisme ; chercher ce qui unit, et non ce qui sépare. Finalement, être un exemple pour les autres, sans chercher à se mettre en avant.
— Tempérance face aux boissons, aux soirées, à la « teuf » proposée aujourd’hui immodérément aux jeunes.
— Détachement des gadgets de l’homme moderne : portable, jeux vidéo, lecteur audio…

Aimer le pluralisme

Maritain distinguait le fait de réagir « en chrétien » et « en tant que chrétien ». La seconde posture impliquait, selon lui, une forme d’obéissance purement externe où la conviction n’entrait pas pleinement. Reprenons cette distinction pour mieux comprendre ce qui sépare le christianisme authentique d’une tendance à la pensée unique.

Si l’on réagit « en chrétien », on acceptera toutes les options politiques qui relèvent de la saine liberté chrétienne, et qui sont ouvertes au libre débat des chrétiens. On cherchera les partis qui respectent le mieux l’Évangile, sans tomber dans la présomption de croire son propre choix infaillible.

Si, en revanche, on réagit « en tant que chrétien », on risquera d’être prisonnier d’un parti, d’un système, en reliant indûment ce qui est intangible (la foi, la morale du Christ) à l’éphémère : une idéologie, des hommes. Le vrai christianisme est ami de la légitime liberté humaine : cette liberté « par laquelle le Christ nous a libérés » (Gal 4, 31).

Respect de la légitime liberté d’autrui, affabilité, humilité, douceur : ces qualités, couronnant toutes les autres, permettent de comprendre ce qui harmonise l’unité de vie à la vertu suprême : la charité. Et cet ensemble de vertus fera de ceux qui les pratiquent des chrétiens à 100 %, exemplaires : des saints.

Silvestre BAUDRILLART

Documents joints