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Regrets

dimanche 23 décembre 2012, par Silvestre Baudrillart

  • Je plains le temps de ma jeunesse,
  • Auquel j’ai plus qu’autre galé,
  • Jusqu’à l’entrée de vieillesse,
  • Qui son partement m’a celé.
  • Il ne s’en est à pied allé,
  • N’à cheval : hélas ! Comment donc ?
  • Soudainement s’en est volé
  • Et ne m’a laissé quelque don.
  • Allé s’en est, et je demeure
  • Pauvre de sens et de savoir,
  • Triste, failli, plus noir que meure,
  • Qui n’ai ne sens, rente, n’avoir ;
  • Des miens le moindre, je dis voir,
  • De me désavouer s’avance,
  • Oubliant naturel devoir
  • Par faute d’un peu de chevance.
  • Hé ! Dieu, si j’eusse étudié
  • Au temps de ma jeunesse folle,
  • Et à bonnes mœurs dédié,
  • J’eusse maison et couche molle,
  • Mais quoi ! je fuyoie l’école
  • Comme fait le mauvais enfant.
  • En écrivant cette parole
  • A peu que le cœur ne me fend.
  • Où sont les gracieux galants
  • Que je suivais au temps jadis,
  • Si bien chantants, si bien parlants,
  • Si plaisants en faits et en dits ?
  • Les aucuns sont morts et roidis,
  • D’eux n’est-il plus rien maintenant :
  • Repos aient en paradis
  • Et Dieu sauve le demeurant !
  • Et les autres sont devenus,
  • Dieu merci ! grands seigneurs et maîtres ;
  • Les autres mendient tout nus
  • Et pain ne voient qu’aux fenêtres ;
  • Les autres sont entrés en cloître
  • De Célestin et de Chartreux,
  • Bottes, houssés com pêcheurs d’oîtres :
  • Voyez l’état divers d’entre eux !