- Va dire à ma chère Ile, là-bas, tout là-bas,
- Près de cet obscur marais de Foulc, dans la lande,
- Que je viendrai vers elle ce soir, qu’elle attende,
- Qu’au lever de la lune elle entendra mon pas.
- Tu la trouveras baignant ses pieds sous les rouches,
- Les cheveux dénoués, les yeux clos à demi,
- Et naïve, tenant une main sur la bouche,
- Pour ne pas réveiller les oiseaux endormis.
- Car les marais sont tout embués de légende,
- Comme le ciel que l’on découvre dans ses yeux,
- Quand ils boivent la bonne lune sur la lande
- Ou les vents tristes qui dévalent des Hauts-Lieux.
- Dis-lui que j’ai passé des aubes merveilleuses
- A guetter les oiseaux qui revenaient du nord,
- Si près d’elle, étendue à mes pieds et frileuse
- Comme une petite sauvagine qui dort.
- Dis-lui que nous voici vers la fin de septembre,
- Que les hivers sont durs dans ces pays perdus,
- Que devant la croisée ouverte de ma chambre,
- De grands fouillis de fleurs sont toujours répandus.
- Annonce-moi comme un prophète, comme un prince,
- Comme le fils d’un roi d’au-delà de la mer ;
- Dis-lui que les parfums inondent mes provinces
- Et que les Hauts-Pays ne souffrent pas l’hiver.
- Dis-lui que les balcons ici seront fleuris,
- Qu’elle se baignera dans les étangs sans fièvre,
- Mais que je voudrais voir dans ses yeux assombris
- Le sauvage secret qui se meurt sur ses lèvres,
- L’énigme d’un regard de pure transparence
- Et qui brille parfois du fascinant éclair
- Des grands initiés aux jeux de connaissance
- Et des couleurs du large, sous les cieux déserts...
Patrice de La Tour du Pin (1911-1975)