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Le Système préventif, par Don Bosco

dimanche 23 décembre 2012, par Silvestre Baudrillart

LE SYSTÈME PRÉVENTIF DANS L’ÉDUCATION DE LA JEUNESSE

PAR DON BOSCO

J’ai été plusieurs fois invité à exprimer, soit oralement, soit par écrit, ma pensée sur la méthode dite préventive communément en usage dans nos maisons. L’absence de loisirs m’avait jusqu’à présent interdit d’exaucer ce souhait, mais, ayant aujourd’hui l’intention de faire imprimer le règlement qui, jusqu’à ce jour, a presque toujours été traditionnellement appliqué chez nous, je crois opportun d’en présenter ici une esquisse. Ce sera comme la table des matières d’un petit livre que je suis en train de préparer pour le cas où Dieu m’accorderait assez de vie pour le terminer. Il n’aura d’autre but que de servir l’art si complexe de l’éducation des jeunes.

Je dirai donc en quoi consiste la méthode préventive et pourquoi il faut la préférer, son application pratique et ses avantages.

1. En quoi consiste la méthode préventive et pourquoi il faut la préférer

Deux méthodes ont toujours été en usage dans l’éducation des jeunes : la méthode préventive et la méthode répressive.

La méthode répressive consiste à faire connaître la loi aux subordonnés, à les surveiller ensuite pour découvrir les délinquants et leur infliger quand il y a lieu le châtiment qu’ils ont mérité. Là où elle est appliquée, la parole et le regard du supérieur doivent demeurer constamment sévères et plutôt menaçants, et lui-même doit éviter tout rapport familier avec ses inférieurs.

Pour accroître l’importance de son autorité, le directeur devra paraître rarement au milieu de ses subordonnés et presque uniquement pour menacer et punir. Cette méthode, facile et moins fatigante, convient au premier chef dans l’armée, et de la façon générale aux adultes de bon sens, normalement en mesure de savoir et de se rappeler ce qui est conforme aux lois et autres prescriptions.

Toute différente, j’allais dire opposée, est la méthode préventive qui consiste à faire connaître les ordonnances et les règles d’une institution et à surveiller ensuite les élèves de telle sorte qu’ils demeurent toujours sous le regard attentif du directeur ou des assistants. Ceux-ci leur parleront en pères affectueux, leur servant de guides en toute éventualité, leur prodiguant des conseils et redressant leurs écarts avec bonté. Cette méthode consiste donc à mettre les élèves dans l’impossibilité de commettre des infractions.

Elle s’appuie tout entière sur la raison, la religion et l’affection. Elle exclut par là tout châtiment brutal et veut même bannir les punitions légères.

Elle semble devoir être préférée pour les raisons suivantes :

1. L’élève ainsi prévenu ne sera pas démoralisé du fait des infractions commises, comme il arrive lorsqu’elles sont portées à la connaissance du supérieur. Et il ne s’irrite jamais d’une remarque qui lui est faite, d’une punition qui le menace ou qui lui est infligée ; car elle comporte toujours un avertissement amical et préventif qui le raisonne et parvient le plus souvent à gagner son cœur. L’élève comprend la nécessité de la punition et en vient presque à la désirer.

2. La raison la plus essentielle, c’est la mobilité de l’enfant auquel une seconde suffit pour oublier les règles disciplinaires et les châtiments dont elles menacent. Souvent un enfant qui s’est mis en faute mérite une peine à laquelle il n’avait jamais pensé, que rien absolument ne lui rappelait à l’instant du délit et qu’il aurait pour sûr évitée si une bouche amie l’avait prévenu.

3. La méthode répressive peut réfréner le désordre, mais elle aura de la peine à amender les délinquants. On a remarqué que les enfants n’oublient pas les châtiments reçus et qu’ils en gardent le plus souvent de l’amertume ; ils aspirent à secouer le joug, quand ce n’est pas à se venger. Ils peuvent paraître indifférents, mais qui les suit dans l’existence constate que les souvenirs de la jeunesse sont redoutables et qu’elle oublie sans peine les punitions des parents, mais très difficilement celles des éducateurs. Il y en eut qui se vengèrent avec brutalité dans leur vieillesse de justes châtiments reçus pendant leur éducation. La méthode préventive au contraire gagne l’amitié de l’enfant ; l’assistant est pour lui un bienfaiteur qui le prévient, veut le rendre meilleur et lui épargne ennuis, punitions et déshonneur.

4. La méthode préventive forme des élèves réfléchis, auxquels l’éducateur peut à tout moment parler le langage du cœur, soit durant l’éducation, soit après. L’éducateur qui a gagné le cœur de son protégé pourra exercer sur lui une grande influence ; il pourra même, après le choix d’une profession et l’entrée dans les fonctions publiques ou le monde des affaires, continuer à lui transmettre ses conseils, ses avis et aussi ses reproches. Il semble que, pour ces raisons et pour tant d’autres, la méthode préventive doive prévaloir sur la méthode répressive.

2. L’application de la méthode préventive

La pratique de cette méthode repose tout entière sur ces mots de saint Paul : Caritas benigna est, patiens est, omnia suffert, omnia sperat, omnia sustinet. La charité est longanime et patiente ; elle souffre tout, mais espère tout et supporte toutes les contrariétés, Le chrétien est donc seul capable d’appliquer avec fruit la méthode préventive. Raison et religion sont les moyens auxquels l’éducateur doit sans cesse recourir, qu’il doit enseigner et pratiquer lui-même, s’il tient à être obéi et à atteindre les résultats qu’il souhaite.

Ceci implique que le directeur devra se consacrer totalement à ses éduqués et ne jamais assumer d’obligations qui le distrairaient de ses fonctions ; il lui faudra au contraire se trouver constamment avec ses élèves toutes les fois qu’ils ne seront pas régulièrement occupés, à moins que d’autres ne les assistent comme il se doit.

La moralité des professeurs, des chefs d’atelier et des assistants, doit être notoire. Ils veilleront à éviter comme la peste toute forme d’affections ou d’amitiés particulières pour leurs élèves, et se souviendront que l’égarement d’un seul peut compromettre tout un institut consacré à l’éducation. On fera en sorte que les élèves ne restent jamais seuls. Autant que possible les assistants les précéderont là où ils doivent se réunir, et ils demeureront avec eux jusqu’au moment où d’autres viendront assister ces enfants. Ils ne les laisseront jamais désœuvrés.

Qu’on donne ample liberté de sauter, courir et crier à cœur joie. La gymnastique, la musique, la déclamation, le théâtre, les sorties fa¬
vorisent puissamment la discipline et la bonne santé soit physique, soit morale. Que l’on veille seulement à ce que le thème des divertissements, les personnes qui y sont mêlées et les paroles qui y sont prononcées ne soient en rien critiquables. Faites tout ce que vous voulez, disait saint Philippe Néri, grand ami des jeunes ; pour moi, il suffit que vous ne fassiez pas de péchés.

La confession fréquente, la communion fréquente et la messe quotidienne sont les colonnes sur lesquelles doit être bâti un édifice éducatif d’où l’on entend bannir la menace et le fouet. Il ne faut jamais contraindre les enfants à fréquenter les sacrements, mais seulement les y encourager et leur donner toute facilité d’en tirer profit. Au cours des retraites spirituelles, des triduums et des neuvaines, dans les sermons et les cours de catéchisme, on mettra en relief la beauté, la grandeur et la sainteté d’une religion qui fournit des moyens tels que les sacrements, si simples d’usage et d’une telle utilité pour la société civile, la sérénité intérieure et le salut des âmes. De cette façon, les enfants gardent spontanément le goût de ces pratiques religieuses et y participent de plein gré, avec joie et avec fruit.

Il faudra exercer la surveillance la plus attentive pour empêcher l’entrée dans l’institution de livres, d’enfants ou de personnes de moralité suspecte. Le choix d’un bon concierge est un trésor pour une maison d’éducation.

Chaque soir, après les prières ordinaires et avant que les élèves n’aillent se coucher, que le directeur ou son suppléant leur adresse publiquement un mot affectueux, tout en donnant une remarque ou un conseil sur ce qu’il convient de faire ou d’éviter. Qu’il s’efforce de dégager les leçons des événements du jour, ceux de la maison et ceux de l’extérieur ; qu’il n’en parle toutefois jamais plus de deux ou trois minutes. C’est le secret de la moralité, de la bonne marche d’une maison et de la réussite de l’éducation.

On rejettera comme la peste l’opinion qui tend à reculer la première communion jusqu’à un âge trop avancé, quand – au préjudice incalculable de son innocence – le démon s’est déjà installé dans le cœur de l’enfant. La discipline ordinaire de l’Église primitive voulait qu’on distribuât aux petits les hosties consacrées non consommées à la communion pascale. On voit par là combien l’Église désire que les enfants soient admis de bonne heure à la sainte communion. Quand un garçon est capable de discerner pain et pain et témoigne de connaissances suffisantes, il n’y a plus à tenir compte de l’âge : que le Roi des cieux vienne régner en cette âme bénie.

Les manuels de catéchisme recommandent la communion fréquente, et saint Philippe Néri la conseillait tous les huit jours et même davantage. Le Concile de Trente exprime sans détour son intense désir que tout chrétien fidèle qui va entendre la messe fasse aussi la sainte communion. Que cette communion ne soit pas purement spirituelle, mais bien sacramentelle, afin de retirer un fruit plus abondant de l’auguste et divin sacrifice (Concile de Trente, session XXII, chapitre VI).

3. L’utilité de la méthode préventive

L’on objectera que cette méthode est d’application difficile. Pour les élèves, je la trouve de beaucoup plus commode, plus satisfaisante et pleine de profit. Elle présente pour l’éducateur un certain nombre d’inconvénients, qui, tout compte fait, sont réduits s’il remplit sa tâche avec zèle. L’éducateur est un homme consacré au bien de ses élèves ; il doit donc être prêt à affronter toute gêne, toute fatigue, pour atteindre son but, qui est leur formation civique, morale et scientifique.

Il faut joindre aux avantages énumérés ci-dessus que :

1. L’élève gardera toujours un grand respect pour son éducateur ; il se souviendra constamment avec joie de la formation reçue et ne cessera de voir en ses professeurs et ses divers supérieurs des pères et des frères. Quoi que deviennent ces élèves, ils seront le plus souvent la consolation des leurs et feront d’utiles citoyens et de bons chrétiens.

2. Quels que soient le caractère, le naturel et l’état moral d’un élève à son admission, ses parents peuvent être sûrs que leur fils ne pourra empirer ; et l’on peut avoir la certitude de toujours obtenir quelque amélioration. Au surplus, des enfants qui furent longtemps un fléau pour leur famille, et jusqu’à des garçons renvoyés de centres de redressement, après avoir été formés selon ces principes, ont modifié leur naturel et leur caractère et adopté une vie rangée ; devenus ainsi les soutiens de leurs familles et la gloire de leur cité, ils occupent actuellement dans la société des charges considérables.

3. Enfin, s’il se trouvait des élèves qui, d’aventure, pénétraient dans une institution avec de mauvaises habitudes, ils ne pourraient nuire à leurs camarades. Et les bons enfants ne pourraient subir aucun préjudice de leur présence, car le temps, le lieu, l’occasion feraient défaut ; en effet, l’assistant que nous supposons présent y mettrait ordre sur-le-champ.

Un mot sur les châtiments

Quelle conduite adopter en matière de châtiments ? S’il est possible, que l’on n’y recoure jamais. Cependant s’il faut obligatoirement sévir, que l’on retienne ceci :

1. Au milieu de ses élèves, l’éducateur doit chercher à se faire aimer s’il tient à se faire craindre. Alors, retirer sa bienveillance constitue un châtiment ; mais c’est un châtiment qui favorise l’émulation, encourage et n’avilit jamais.

2. Pour les enfants, est punition tout ce qui est utilisé comme tel. On a observé qu’un regard sans affection produit sur certains plus d’effets qu’une gifle. Des félicitations pour un bon résultat, un reproche pour une négligence, c’est déjà une récompense ou une punition.

3. Sauf rarissimes exceptions, que les corrections et les châtiments ne soient jamais donnés publiquement, mais en particulier et loin des autres élèves. On fera également appel à toute sa sagesse et à toute sa patience pour obtenir que l’enfant éclairé par sa raison et sa foi comprenne sa culpabilité.

4. Il faut absolument et de toute manière éviter de frapper, de mettre à genoux dans une position douloureuse, de tirer les oreilles et d’infliger des punitions analogues, parce que les lois les interdisent, qu’elles irritent grandement les jeunes et qu’elles avilissent l’éducateur.

5. Le directeur informera soigneusement les élèves des règles, récompenses et sanctions prévues par la discipline, afin qu’ils ne puissent avoir l’excuse de dire : Je ne savais pas que c’était commandé ou défendu.

Si cette méthode est pratiquée dans nos maisons, je crois que, sans recourir ni au fouet, ni à d’autres châtiments brutaux, nous obtiendrons d’excellents résultats. Depuis environ quarante ans que je m’occupe des jeunes, je ne me souviens pas d’avoir usé de tels châtiments. Avec l’aide de Dieu, j’ai cependant toujours obtenu, non seulement l’indispensable, mais encore tout simplement ce que je désirais ; et cela de la part d’enfants pour lesquels tout espoir d’aboutir à une réussite convenable semblait être perdu.