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- Dans Venise la rouge,
- Pas un bateau qui bouge,
- Pas un pêcheur dans l’eau,
- Pas un falot.
- Seul, assis à la grève,
- Le grand lion soulève,
- Sur l’horizon serein,
- Son pied d’airain.
- Autour de lui, par groupes,
- Navires et chaloupes,
- Pareils à des hérons
- Couchés en ronds,
- Dorment sur l’eau qui fume,
- Et croisent dans la brume,
- En légers tourbillons,
- Leurs pavillons.
- La lune qui s’efface
- Couvre son front qui passe
- D’un nuage étoilé
- Demi-voilé.
- Ainsi, la dame abbesse
- De Sainte-Croix rabaisse
- Sa cape aux larges plis
- Sur son surplis.
- Et les palais antiques,
- Et les graves portiques,
- Et les blancs escaliers
- Des chevaliers,
- Et les ponts, et les rues,
- Et les mornes statues,
- Et le golfe mouvant
- Qui tremble au vent,
- Tout se tait, fors les gardes
- Aux longues hallebardes,
- Qui veillent aux créneaux
- Des arsenaux.
- Ah ! maintenant plus d’une
- Attend, au clair de lune,
- Quelque jeune muguet,
- L’oreille au guet.
- Pour le bal qu’on prépare,
- Plus d’une qui se pare,
- Met devant son miroir
- Le masque noir.
- Sur sa couche embaumée,
- La Vanina pâmée
- Presse encor son amant,
- En s’endormant ;
- Et Narcissa, la folle,
- Au fond de sa gondole,
- S’oublie en un festin
- Jusqu’au matin.
- Et qui, dans l’Italie,
- N’a son grain de folie ?
- Qui ne garde aux amours
- Ses plus beaux jours ?
- Laissons la vieille horloge,
- Au palais du vieux doge,
- Lui compter de ses nuits
- Les longs ennuis.
- Comptons plutôt, ma belle,
- Sur ta bouche rebelle
- Tant de baisers donnés...
- Ou pardonnés.
- Comptons plutôt tes charmes,
- Comptons les douces larmes,
- Qu’à nos yeux a coûté
- La volupté !
- Alfred de MUSSET (1810-1857)
- Premières poésies