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La Vierge à midi

mardi 1er janvier 2013, par Silvestre Baudrillart

  • Il est midi. Je vois l’église ouverte. Il faut entrer.
  • Mère de Jésus-Christ, je ne viens pas prier.
  • Je n’ai rien à offrir et rien à demander.
  • Je viens seulement, Mère, pour vous regarder.
  • Vous regarder, pleurer de bonheur, savoir cela
  • Que je suis votre fils et que vous êtes là.
  • Rien que pour un moment pendant que tout s’arrête.
  • Midi !
  • Être avec vous, Marie, en ce lieu où vous êtes.
  • Ne rien dire, regarder votre visage,
  • Laisser le cœur chanter dans son propre langage.
  • Ne rien dire, mais seulement chanter parce qu’on a le cœur trop plein,
  • Comme le merle qui suit son idée en ces espèces de couplets soudains.
  • Parce que vous êtes belle, parce que vous êtes immaculée,
  • La femme dans la Grâce enfin restituée,
  • La créature dans son honneur premier et dans son épanouissement final,
  • Telle qu’elle est sortie de Dieu au matin de sa splendeur originale.
  • Intacte ineffablement parce que vous êtes la Mère de Jésus-Christ,
  • Qui est la vérité entre vos bras, et la seule espérance et le seul fruit.
  • Parce que vous êtes la femme, l’Eden de l’ancienne tendresse oubliée,
  • Dont le regard trouve le cœur tout à coup et fait jaillir les larmes accumulées,
  • Parce que vous m’avez sauvé, parce que vous avez sauvé la France,
  • Parce qu’elle aussi, comme moi, pour vous fut cette chose à laquelle on pense,
  • Parce qu’à l’heure où tout craquait, c’est alors que vous êtes intervenue,
  • Parce que vous avez sauvé la France une fois de plus,
  • Parce qu’il est midi, parce que nous sommes en ce jour d’aujourd’hui,
  • parce que vous êtes là pour toujours, simplement parce que vous êtes Marie, simplement parce que vous existez,
  • Mère de Jésus-Christ, soyez remerciée !

Paul Claudel
(extrait de "La Vierge à midi", Poèmes de Guerre, N.R.F., 1914-1915)