- Il est midi. Je vois l’église ouverte. Il faut entrer.
- Mère de Jésus-Christ, je ne viens pas prier.
- Je n’ai rien à offrir et rien à demander.
- Je viens seulement, Mère, pour vous regarder.
- Vous regarder, pleurer de bonheur, savoir cela
- Que je suis votre fils et que vous êtes là.
- Rien que pour un moment pendant que tout s’arrête.
- Midi !
- Être avec vous, Marie, en ce lieu où vous êtes.
- Ne rien dire, regarder votre visage,
- Laisser le cœur chanter dans son propre langage.
- Ne rien dire, mais seulement chanter parce qu’on a le cœur trop plein,
- Comme le merle qui suit son idée en ces espèces de couplets soudains.
- Parce que vous êtes belle, parce que vous êtes immaculée,
- La femme dans la Grâce enfin restituée,
- La créature dans son honneur premier et dans son épanouissement final,
- Telle qu’elle est sortie de Dieu au matin de sa splendeur originale.
- Intacte ineffablement parce que vous êtes la Mère de Jésus-Christ,
- Qui est la vérité entre vos bras, et la seule espérance et le seul fruit.
- Parce que vous êtes la femme, l’Eden de l’ancienne tendresse oubliée,
- Dont le regard trouve le cœur tout à coup et fait jaillir les larmes accumulées,
- Parce que vous m’avez sauvé, parce que vous avez sauvé la France,
- Parce qu’elle aussi, comme moi, pour vous fut cette chose à laquelle on pense,
- Parce qu’à l’heure où tout craquait, c’est alors que vous êtes intervenue,
- Parce que vous avez sauvé la France une fois de plus,
- Parce qu’il est midi, parce que nous sommes en ce jour d’aujourd’hui,
- parce que vous êtes là pour toujours, simplement parce que vous êtes Marie, simplement parce que vous existez,
- Mère de Jésus-Christ, soyez remerciée !
Paul Claudel
(extrait de "La Vierge à midi", Poèmes de Guerre, N.R.F., 1914-1915)