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mercredi 2 janvier 2013, par
L’éducation est avant tout un travail de parole : faire découvrir de nouvelles choses à l’enfant, à travers des mots ou des définitions nouvelles. Le jeune aborde les réalités du monde à travers le prisme du langage. Par conséquent, les mots qu’emploient les éducateurs ont une importance capitale, et doivent être calibrés au millimètre près.
Parfois, l’éducateur utilise devant l’enfant un langage cru, vulgaire : pourquoi ? Crue, la nourriture est-elle plus authentique ? N’est-elle pas simplement moins digeste ? En s’exprimant grossièrement, on fait peut-être de l’esprit, un humour vulgaire et facile ; mais l’enfant, frappé par la force des images, retient surtout leur violence et leur agressivité. Alors, pourquoi ne pas utiliser, avec les jeunes, des mots d’un vocabulaire plus choisi ? Veut-on les inviter à un monde de haine, ou les pousser à développer autour d’eux la courtoisie et la charité ?
Les mots sont les miroirs de l’âme : celui qui répugne à utiliser un vocabulaire précis, une syntaxe raffinée, ne manifeste que la grossièreté de ses sentiments. L’amour courtois l’avait bien compris au Moyen Âge : on ne parvient à la délicatesse du cœur que par le travail sur la parole.
Peut-on éviter un juron, une expression qui jaillit lors d’un coup de marteau malheureux ? Non, certes, mais on peut présenter ses excuses, et utiliser dans toutes les autres circonstances un lexique élégant et digne de la noblesse de la condition humaine.
A certains moments-clés de la vie, l’éducateur fait passer au jeune une notion importante, une consigne dont il se souviendra peut-être toute sa vie. C’est une correction, ou encore une indication globale, une maxime à retenir… « On ne frappe pas une femme, même avec une rose. » Pourquoi cette jolie phrase se grave-t-elle dans l’esprit aussi facilement et aussi profondément ? Ces formules doivent être particulièrement choisies. Réunies, elles formeront pour le futur adulte un tableau de la vie idéale, et il importe que ce panorama soit en harmonie avec la foi, et avec la supériorité de l’esprit sur la matière.
Bien entendu, la plupart de ces maximes ont trait au bon sens, et ne touchent ni à la foi, ni à la philosophie ; pourtant, il importe de les méditer, de les passer au crible de la prière, pour être à même de se rendre compte si, réellement, elles sont saines et solides, et peuvent servir à construire une personne.
Dans cet ensemble, l’éducation affective a un relief particulier, puisque, bien souvent, les parents sont amenés à en parler à leurs enfants alors qu’eux-mêmes n’ont pas ou presque reçu de formation dans ce domaine. Il s’agit donc de créer entièrement un vocabulaire, beau et évocateur, qui permette à l’enfant de se construire des repères plus solides que ceux qu’il peut glaner dans la cour de récréation ou en écoutant telle ou telle radio démagogique et aguichante.
Parmi ces mots qui construisent ou démolissent, une place à part revient aux jugements catégoriques, à ces formules sans appel, en général négatives, dont les adultes sont coutumiers vis-à-vis des enfants. Certains mots sont piégés, car ils comportent une connotation franchement humiliante : en les entendant à son adresse, le jeune sentira peut-être s’abattre tout le poids de la misère de monde sur ses épaules. Répétons-le : ce n’est pas parce qu’un élève a rendu une copie nulle qu’il est nul. Ce n’est pas parce qu’un jeune s’est mal conduit qu’il est insupportable. Il faut trouver le moyen de dissocier la personne de son comportement, pour lui offrir une porte de sortie honorable, sans l’enfermer dans une image péjorative de lui-même.
L’atmosphère familiale, comme l’atmosphère scolaire, doivent être imprégnées de cette courtoisie : s’ils voient les adultes s’en faire les promoteurs actifs, les jeunes seront poussés à les imiter. On ne dira donc jamais assez l’importance de l’exemple. La politesse n’est pas simplement un ensemble de normes sociales, comme si l’homme n’était, au fond, qu’un animal évolué. C’est avant tout la codification du respect de l’autre dans sa condition la plus profonde, celle d’enfant de Dieu. C’est la manifestation d’une vraie délicatesse et d’une profonde maîtrise de soi. La politesse, vécue en profondeur, est l’expression sociale du message chrétien. Elle est l’attention portée aux pauvres et aux plus faibles, l’écoute et la discrétion, la reconnaissance et le pardon : en un mot, le vêtement de la charité.
Parents et éducateurs gagneront à faire un effort dans ces domaines qui entraînent tant de conséquences sur la conception de l’homme et de la vie.
Silvestre Baudrillart