- De l’éternel Azur la sereine ironie
- Accable, belle indolemment comme les fleurs,
- Le poëte impuissant qui maudit son génie
- A travers un désert stérile de Douleurs.
- Fuyant, les yeux fermés, je le sens qui regarde
- Avec l’intensité d’un remords atterrant,
- Mon âme vide. Où fuir ? Et quelle nuit hagarde
- Jeter, lambeaux, jeter sur ce mépris navrant ?
- Brouillards, montez ! versez vos cendres monotones
- Avec de longs haillons de brume dans les cieux
- Que noiera le marais livide des automnes,
- Et bâtissez un grand plafond silencieux !
- Et toi, sors des étangs léthéens et ramasse
- En t’en venant la vase et les pâles roseaux,
- Cher Ennui, pour boucher d’une main jamais lasse
- Les grands trous bleus que font méchamment les oiseaux.
- Encor ! que sans répit les tristes cheminées
- Fument, et que de suie une errante prison
- Eteigne dans l’horreur de ses noires traînées
- Le soleil se mourant jaunâtre à l’horizon !
- - Le Ciel est mort. - Vers toi, j’accours ! Donne, ô matière,
- L’oubli de l’Idéal cruel et du Péché
- A ce martyr qui vient partager la litière
- Où le bétail heureux des hommes est couché,
- Car j’y veux, puisque enfin ma cervelle, vidée
- Comme le pot de fard gisant au pied d’un mur,
- N’a plus l’art d’attifer la sanglotante idée,
- Lugubrement bâiller vers un trépas obscur...
- En vain ! l’Azur triomphe, et je l’entends qui chante
- Dans les cloches. Mon âme, il se fait voix pour plus
- Nous faire peur avec sa victoire méchante,
- Et du métal vivant sort en bleus angelus !
- Il roule par la brume, ancien et traverse
- Ta native agonie ainsi qu’un glaive sûr ;
- Où fuir dans la révolte inutile et perverse ?
- Je suis hanté. L’Azur ! l’Azur ! l’Azur ! l’Azur !
MALLARME Stéphane (1842-1898)