Accueil > Littérature > Anthologie > J > Jean de la Croix (1542-1591) > Sur l’évangile In principio erat Verbum
- 1 Dans le principe demeurait
- le Verbe, et en Dieu il vivait,
- en qui sa félicité
- infinie il possédait.
- Le Verbe lui-même était Dieu,
- puisque le principe il se disait.
- Il demeurait dans le principe,
- et n’avait pas de principe.
- Il était le principe même ;
- pour cela il n’en avait pas.
- Le Verbe se nomme Fils,
- puisqu’il naissait du principe.
- Il l’a toujours conçu
- et toujours il le concevait.
- Il lui donne toujours sa substance
- et toujours il se la gardait.
- Et ainsi, la gloire du Fils
- est celle qu’en le Père il avait ;
- et toute sa gloire le Père
- dans le Fils possédait.
- Comme l’aimé en l’amoureux
- l’un en l’autre résidait,
- et cet amour qui les unit
- convenait en lui-même
- à l’un et à l’autre
- en égalité et en valeur.
- Trois personnes et un aimé
- entre tous trois il y avait ;
- et un seul amour en elles toutes
- et un seul amoureux les faisait, (30)
- et l’amoureux est l’aimé
- en qui chacun vivait ;
- car l’être que les trois possèdent
- chacun le possédait,
- et chacun d’eux aime (35)
- celle qui possédait cet être.
- Cet être est chacune
- et lui seul les unissait
- en un ineffable noeud
- qui ne saurait se dire. (40)
- Pour cela était infini
- l’amour qui les unissait,
- car un seul amour ont les trois,
- que l’on disait leur essence ;
- car l’amour, plus il est un, (45)
- plus amour il se fait.
- En cet amour immense
- qui des deux procédait,
- des paroles de grande douceur
- le Père au Fils disait,
- de si profond délice,
- que nul ne les entendait ;
- seul le Fils en jouissait,
- car cela le concernait.
- Mais ce qu’on en peut entendre
- de cette manière il le disait :
- - Rien ne me contente, Fils,
- hors de ta compagnie.
- Et si quelque chose me contente,
- c’est en toi que je l’aimerais.
- Celui qui à toi ressemble le plus
- à moi le plus me satisferait ;
- et celui qui ne te ressemble en rien
- en moi rien ne trouverait.
- En toi seul je me suis complu,
- ô vie de ma vie !
- Tu es lumière de ma lumière.
- Tu es ma sagesse ;
- figure de ma substance
- en qui je me complais bien.
- À celui qui t’aimerait, Fils,
- moi-même à lui je me donnerais,
- et l’amour que moi j’ai en toi
- celui-là même en lui je mettrais,
- pour la raison qu’il a aimé
- qui j’aimais tant moi-même.