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Cantique des Colonnes

mardi 27 octobre 2015, par Silvestre Baudrillart

A Léon-Paul Fargue.

  • Douces colonnes, aux
  • Chapeaux garnis de jour,
  • Ornés de vrais oiseaux
  • Qui marchent sur le tour,
  • Douces colonnes, ô
  • L’orchestre de fuseaux !
  • Chacun immole son
  • Silence à l’unisson.
  • -Que portez-vous si haut,
  • Égales radieuses ?
  • -Au désir sans défaut
  • Nos grâces studieuses !
  • Nous chantons à la fois
  • Que nous portons les cieux !
  • Ô seule et sage voix
  • Qui chantes pour les yeux !
  • Vois quels hymnes candides !
  • Quelle sonorité
  • Nos éléments limpides
  • Tirent de la clarté !
  • Si froides et dorées
  • Nous fûmes de nos lits
  • Par le ciseau tirées,
  • Pour devenir ces lys !
  • De nos lits de cristal
  • Nous fûmes éveillées,
  • Des griffes de métal
  • Nous ont appareillées.
  • Pour affronter la lune,
  • La lune et le soleil,
  • On nous polit chacune
  • Comme ongle de l’orteil !
  • Servantes sans genoux,
  • Sourires sans figures,
  • La belle devant nous
  • Se sent les jambes pures.
  • Pieusement pareilles,
  • Le nez sous le bandeau
  • Et nos riches oreilles
  • Sourdes au blanc fardeau,
  • Un temple sur les yeux
  • Noirs pour l’éternité,
  • Nous allons sans les dieux
  • À la divinité !
  • Nos antiques jeunesses,
  • Chair mate et belles ombres,
  • Sont fières des finesses
  • Qui naissent par les nombres !
  • Filles des nombres d’or,
  • Fortes des lois du ciel,
  • Sur nous tombe et s’endort
  • Un dieu couleur de miel.
  • Il dort content, le Jour,
  • Que chaque jour offrons
  • Sur la table d’amour
  • Étale sur nos fronts.
  • Incorruptibles soeurs,
  • Mi-brûlantes, mi-fraîches,
  • Nous prîmes pour danseurs
  • Brises et feuilles sèches,
  • Et les siècles par dix,
  • Et les peuples passés,
  • C’est un profond jadis,
  • Jadis jamais assez !
  • Sous nos mêmes amours
  • Plus lourdes que le monde
  • Nous traversons les jours
  • Comme une pierre l’onde !
  • Nous marchons dans le temps
  • Et nos corps éclatants
  • Ont des pas ineffables
  • Qui marquent dans les fables...

VALERY Paul (1871-1945)