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A Léon-Paul Fargue.
- Douces colonnes, aux
- Chapeaux garnis de jour,
- Ornés de vrais oiseaux
- Qui marchent sur le tour,
- Douces colonnes, ô
- L’orchestre de fuseaux !
- Chacun immole son
- Silence à l’unisson.
- -Que portez-vous si haut,
- Égales radieuses ?
- -Au désir sans défaut
- Nos grâces studieuses !
- Nous chantons à la fois
- Que nous portons les cieux !
- Ô seule et sage voix
- Qui chantes pour les yeux !
- Vois quels hymnes candides !
- Quelle sonorité
- Nos éléments limpides
- Tirent de la clarté !
- Si froides et dorées
- Nous fûmes de nos lits
- Par le ciseau tirées,
- Pour devenir ces lys !
- De nos lits de cristal
- Nous fûmes éveillées,
- Des griffes de métal
- Nous ont appareillées.
- Pour affronter la lune,
- La lune et le soleil,
- On nous polit chacune
- Comme ongle de l’orteil !
- Servantes sans genoux,
- Sourires sans figures,
- La belle devant nous
- Se sent les jambes pures.
- Pieusement pareilles,
- Le nez sous le bandeau
- Et nos riches oreilles
- Sourdes au blanc fardeau,
- Un temple sur les yeux
- Noirs pour l’éternité,
- Nous allons sans les dieux
- À la divinité !
- Nos antiques jeunesses,
- Chair mate et belles ombres,
- Sont fières des finesses
- Qui naissent par les nombres !
- Filles des nombres d’or,
- Fortes des lois du ciel,
- Sur nous tombe et s’endort
- Un dieu couleur de miel.
- Il dort content, le Jour,
- Que chaque jour offrons
- Sur la table d’amour
- Étale sur nos fronts.
- Incorruptibles soeurs,
- Mi-brûlantes, mi-fraîches,
- Nous prîmes pour danseurs
- Brises et feuilles sèches,
- Et les siècles par dix,
- Et les peuples passés,
- C’est un profond jadis,
- Jadis jamais assez !
- Sous nos mêmes amours
- Plus lourdes que le monde
- Nous traversons les jours
- Comme une pierre l’onde !
- Nous marchons dans le temps
- Et nos corps éclatants
- Ont des pas ineffables
- Qui marquent dans les fables...
VALERY Paul (1871-1945)