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Les embarras de Paris

mercredi 16 novembre 2011, par Silvestre Baudrillart

  • Qui frappe l’air, bon Dieu ! de ces lugubres cris ?
  • Est-ce donc pour veiller qu’on se couche à Paris ?
  • Et quel fâcheux démon, durant les nuits entières,
  • Rassemble ici les chats de toutes les gouttières ?
  • J’ai beau sauter du lit, plein de trouble et d’effroi,
  • Je pense qu’avec eux tout l’enfer est chez moi :
  • L’un miaule en grondant comme un tigre en furie ;
  • L’autre roule sa voix comme un enfant qui crie.
  • Ce n’est pas tout encor : les souris et les rats
  • Semblent, pour m’éveiller, s’entendre avec les chats,
  • Plus importuns pour moi, durant la nuit obscure,
  • Que jamais, en plein jour, ne fut l’abbé de Pure.
  • Tout conspire à la fois à troubler mon repos,
  • Et je me plains ici du moindre de mes maux :
  • Car à peine les coqs, commençant leur ramage,
  • Auront des cris aigus frappé le voisinage
  • Qu’un affreux serrurier, laborieux Vulcain,
  • Qu’éveillera bientôt l’ardente soif du gain,
  • Avec un fer maudit, qu’à grand bruit il apprête,
  • De cent coups de marteau me va fendre la tête.
  • J’entends déjà partout les charrettes courir,
  • Les maçons travailler, les boutiques s’ouvrir :
  • Tandis que dans les airs mille cloches émues
  • D’un funèbre concert font retentir les nues ;
  • Et, se mêlant au bruit de la grêle et des vents,
  • Pour honorer les morts font mourir les vivants.
  • Nicolas BOILEAU (1636-1711)
  • Satires