- Les grands chênes, pareils à de sombres amants,
- Tordent dans l’air leurs bras où pend leur chevelure,
- Et, debout sous le vent, ont la sinistre allure
- Des mornes désespoirs et des accablements.
- Comme un prince très vieux dont la tête vacille
- Sous le poids des longs jours, le bouleau maigre et blanc,
- Haut et d’argent vêtu, se dresse somnolent
- Dans une majesté vaguement imbécile.
- Les peupliers ardus ont l’air d’âpres chercheurs
- Que sèche la pensée et qu’alanguit le rêve,
- Qui, vers l’azur tendus, y poursuivent sans trêve
- Des nuages volants les mortelles fraîcheurs.
- Près des sources où dort l’âme errante des fleuves
- Qu’ont bus les sables d’or et les soleils jaloux,
- Pleure, au front incliné des saules à genoux,
- L’immortelle douleur des mères et des veuves.
- — C’est qu’ils portent en eux, les arbres fraternels,
- Tous les débris épars de l’humanité morte
- Qui flotte dans leur sève et, de la terre, apporte
- A leurs vivants rameaux ses aspects éternels.
- Et, tandis qu’affranchis par les métamorphoses,
- Les corps brisent enfin leur moule passager,
- L’Esprit demeure et semble à jamais se figer
- Dans l’immobilité symbolique des choses.
SILVESTRE Armand (1837-1901)